La couronne de feu
soudoyer nos gardes mais je me faisais des illusions. Pour tout l’or du monde aucun d’eux n’accepterait de m’aider à fuir. Et pour aller où, d’ailleurs ? Reprenez cet argent : il vous sera plus utile qu’à moi. Ou alors distribuez-le aux pauvres...
Jeanne et Nicolas de Gueuville passaient des heures ensemble, chaque jour, lorsque le temps le permettait, assis sur le chemin de ronde, emmitouflés dans une couverture, adossés au mur. Le prêtre avait accepté d’emblée, et avec joie, de dire la messe à son intention dans la chapelle castrale et d’écouter sa confession.
C’est lui qui apprit à sa compagne que le roi avait envoyé Dunois occuper Louviers, au sud de Rouen, que La Hire bataillait en Normandie, Boussac sur la Somme, Barbazan en Champagne, comme s’ils tentaient de se rapprocher de la Pucelle. Les Anglais, flairant le danger, avaient bien choisi le dernier lieu de captivité de Jeanne : aucun n’aurait l’idée et la hardiesse de venir la chercher là.
– Un coup de main de leur part, ajouta le prêtre, n’est pas à écarter mais il ne pourrait se produire que durant ton transfert à Rouen où, je viens de l’apprendre, aura lieu ton procès.
– Il me tarde que cette affaire se termine, soupira Jeanne. Si l’on doit me faire un procès religieux, pourquoi ne pas m’enfermer dans une prison d’Église, gardée par des femmes ?
– Parce que les Anglais n’ont confiance qu’en eux-mêmes, répondit le prêtre. Ils ne te quitteront pas d’un pouce jusqu’au terme du procès.
Les jours se succédaient, aussi gris, froids et mornes que la baie de Somme.
On laissait Jeanne et son compagnon libres d’aller où bon leur semblait sans sortir de l’enceinte du château. Liberté illusoire : ils ne pouvaient faire un pas sans être épiés ; même leurs rapports de routine avec les domestiques étaient surveillés ; ils avaient chaque nuit deux gardes devant leur porte.
On était en décembre, et Jeanne se demandait avec un sentiment d’angoisse si elle se trouverait encore à Noël dans cette bicoque. Elle avait passé sa dernière nuit de la Nativité à Jargeau, en compagnie du frère Richard et de sa suite de devineresses plus ou moins inspirées. Cette fête avait laissé dans sa mémoire, outre une grosse déception, une impression de chaleur, de lumière et de foi. Avait-elle péché en demandant à trois reprises dans la même journée le pain des anges ? On le lui avait reproché mais elle n’en avait cure.
Elle avait appris avec tristesse que la Pierronne et sa soeur avaient payé de leur vie l’attachement qu’elles lui vouaient et qu’elles n’avaient cessé d’affirmer devant leurs juges : elles avaient été brûlées vives. Pour Catherine de La Rochelle, au contraire, les choses avaient bien tourné : elle poursuivait, au profit des Anglais et des Bourguignons, sa chasse aux trésors cachés, en attendant, ayant garni sa bourse de beaux écus d’or, de retourner au sein de sa famille.
Un matin de la mi-décembre le prêtre dit à Jeanne :
– Ma fille, il faut te préparer à quitter Le Crotoy sans tarder. Tu dois être menée à Rouen avant Noël.
– S’il en est ainsi, répondit-elle en maîtrisant sa peine, c’est que Dieu l’a voulu. Mon seul regret en partant sera de devoir renoncer à votre présence. Sans vous je serais morte d’ennui.
– À moi aussi tu manqueras, Jeanne. Chaque jour je viendrai sur ce chemin de ronde et je prierai pour toi. Je vais être semblable à cet homme que tu vois, au loin, en train de tendre ses pièges dans la mouillère : un petit grain de vie et d’espoir dans l’infini...
Il porta la main à sa poitrine, en retira une médaille d’étain nouée d’une cordelette de chanvre, la lui tendit.
– J’ai ramené cette médaille d’un pèlerinage au Mont-Saint-Michel, dit-il. Elle est à toi.
Elle ôta de son doigt l’anneau que sa mère lui avait confié à son départ de Vaucouleurs et le lui confia en lui disant que, là où elle allait, vers son calvaire ou son supplice, les Anglais ne le lui laisseraient pas.
11
Le château de Bouvreuil
Rouen, décembre 1430
Une fin d’après-midi de la mi-décembre, alors que la tempête faisait rage sous un ciel déchiré, une colonne anglaise d’une vingtaine d’archers et de cavaliers fit halte au château du Crotoy et y prit ses quartiers. Ils venaient de Rouen et allaient s’en retourner sans tarder.
– Jeanne, dit le capitaine du
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