La couronne de feu
garder.
Là, Berwoit éclata carrément de rire :
– Les femmes ? Quelles femmes ? Nous ne sommes pas dans un couvent, ma fille ! Ce sont des soldats qui vont veiller sur toi. Ils seront aux petits soins. Je ne vais pas tarder à faire les présentations...
Mehun-sur-Yèvre, janvier 1431
À la Cour du roi Charles nul, depuis des mois, n’avait de nouvelles de Gilles de Rais.
Après l’échec de Jeanne et d’Alençon devant la porte Saint-Honoré, quatorze mois auparavant, la retraite de l’armée royale, l’exil accepté de Jeanne à Sully, Gilles s’était replié, l’amertume au coeur, dans ses domaines, à ronger son frein. Il se disait que l’impéritie du souverain, alliée à la trahison de son Conseil, allait décider les Anglais à se mettre en campagne et à entreprendre la conquête définitive du royaume. Ce n’étaient pas les coups de main entrepris au nord de la Loire et de la Seine par les anciens compagnons de Jeanne qui pourraient les en dissuader.
Peu à peu, la colère, faisant place en lui à la déception, avait réveillé des énergies endormies. Il avait, à son retour de campagne, accroché au mur de Machecoul son épée de maréchal, devant laquelle il méditait sur les trahisons qui avaient abouti à sa retraite forcée. Il se disait que le jour ne tarderait guère où il l’accrocherait de nouveau à sa ceinture.
Sous les neiges de décembre, après d’interminables et sanglantes parties de chasse dans les forêts proches de Saint-Philibert, il avait décrété que le moment était venu. Il avait battu le rappel de ses fidèles, avait passé la Loire à Champtocé où il possédait une belle demeure campée sur un bras du fleuve, et s’était enfoncé dans les territoires occupés par l’ennemi. Rien de bien glorieux dans cette nouvelle équipée mais les mornes routines de la guérilla : villages suspects pillés et incendiés, paysans et bétail égorgés avec le même poignard, filles et garçons violés dans les granges... On lavait dans la neige ses mains poisseuses de sang frais. Très vite l’écoeurement était venu.
Gilles savourait la tiédeur odorante d’une soirée de printemps dans la chambre haute du donjon de Machecoul, lieu des jeux pervers auxquels il se livrait avec ses pages et les petits choristes de sa psallette, lorsqu’un courrier lui annonça que Jeanne venait de tomber aux mains des Anglais devant Compiègne.
Jeanne ! Jeanne prisonnière ! Il sembla soudain à Gilles que son existence sombrait avec elle, qu’à l’annonce de cette captivité répondît en lui un sentiment de désarroi et d’impuissance.
Le désarroi ? Sûrement. L’impuissance ? voire ! Gilles, quelques jours durant, rumina sa colère avant de se décider à passer aux actes. Il allait trouver le roi, l’obliger à sortir de sa léthargie ; il lui mettrait lui-même le cul en selle pour tenter de délivrer la Pucelle.
Charles semblait repris par sa manie : la bougeotte. Il ne restait guère plus d’une semaine au même endroit, comme s’il voulait échapper à ses remords, mais, où qu’il se trouvât, ils l’accompagnaient comme son ombre.
Après l’avoir longtemps cherché, Gilles le trouva à Mehun. Il bouscula les gardes postés devant le châtelet, demanda où se trouvait le maître des lieux : on lui répondit que Sa Majesté se livrait à ses occupations favorites et avait demandé qu’on ne le dérangeât sous aucun prétexte. Gilles se rua dans le parc.
Charles se trouvait dans une gloriette dressée au fond d’une allée de peupliers, en compagnie de deux garces et d’un carlin hargneux que Gilles écarta d’un coup de pied. Stupeur du roi ! Il blêmit, ramena sur son corps les pans d’une robe de soie prune et bredouilla quelques mots où la surprise le disputait à l’indignation.
– Sire, dit le visiteur, veuillez chasser vos putains. J’ai deux mots à vous dire. Cela ne peut attendre.
– J’ai donné des consignes pour qu’on me laisse en paix, et vous osez...
Gilles fit mine de n’avoir pas entendu cette protestation véhémente ; il laissa les filles se rhabiller avant d’aller rejoindre la reine Marie qui oeuvrait à sa toile sous le tilleul de la terrasse.
– Pardonnez-moi cette intrusion intempestive, sire, dit Gilles. Je suis venu vous parler de Jeanne.
– Encore ! Vous aussi ? Vous disparaissez durant des mois et vous surgissez comme un diable des enfers pour me parler de la Pucelle. Eh bien quoi, Jeanne ?
–
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