La couronne et la tiare
dubitative ; Thibaut de la Rivière, un des fidèles du Breton, court sur pattes et qui semblait ne pas vouloir se séparer de son armure ; deux clercs maigres en bure élimée dont les tonsures, aux clartés des foyers, prenaient la teinte des pommes blettes ; Bertrand Goyon, le pennoncier de Guesclin, haut par la taille, étriqué d’épaules, grand aussi par sa hautaineté mais certainement petit d’esprit. Près de lui, Pierre de Louesmes, le pennoncier de Beaujeu, côtoyant son maître vêtu comme pour une réception de Cour ; le vicomte de Beaumont, barbu, échevelé, nerveux comme un marié d’âge mûr dont la jeune épousée tarde à paraître : Oudart de Renty moustachu comme un Wandre (410) dépoitraillé, disant qu’il était soucieux pour son cheval qui peut-être était farcineux et qui, alors que Guesclin cherchait ses mots, lançait :
Nous les aurons !… Faut point se festardir (411) !
Il y avait aussi Petiton de Courton, rieur et comme heureux d’offrir une gasconnade sanglante à ses anciens compères ; Amanieu de Pommiers que Tristan vit lui sourire et auquel il répondit d’un geste léger pour cette marque d’intérêt. Il y avait aussi, à la dextre du Breton, un chevalier gros et pansu au point que son flotternel relevé par le volume de sa pimélose (412) laissait voir son nombril pareil à un œil noir circonscrit de cils fauves.
Qui est cet ours ?
Tristan se tourna vers le voisin qui l’avait questionné : le soudich de l’Estrade dont la voix chantait comme celle des gens de la Langue d’Oc.
Berthelot d’Angoulevent.
– D’Angouleventre, ricana le soudich. Et lui, le goguelu, là-bas ? Est-ce le sire de Hangest dont on m’a dit du bien ?… Son père était otage pour le roi Jean en Angleterre (413) .
Il se peut que ce soit lui, mais je ne saurais l’affirmer.
– Et ces trois-là qui semblent voir un dieu quand ils tournent leurs yeux sur Guesclin ?
– Olivier de Mauny, Hervé de Mauny et monsei gneur Éon de Mauny, frères et neveu de Bertrand… C’est ce que je me suis laissé dire.
Guesclin se mit à contourner le feu, les mains au dos, le regard tourné vers les hommes aux faces rouges – couleur qui faisait ses délices.
– Je vous connais tous et vous dis, moi, qu’il nous faut avoir confiance. Oui, messire Geoffroy Feiron ; oui, messire Alain de Saint-Pol ; oui, Robin de Guite ; oui, Eustache et Alain de la Houssaye ; oui, Robert de Saint-Père qui n’êtes pas Pape… Oui, oui, Jean de Boyer. Guillaume Bodin, Olivier de Quoiquen, Lucas de Maillechat… et vous aussi, Louis de Haveskerques et Jean de Vienne !
Prompt, accort ou sévère, il les montrait aux autres d’un doigt ferme comme il eût désigné des condamnés. Ils ne seraient astreints qu’à son obéissance, mais à voir le Breton parler à ces prud’hommes, on eût pu penser qu’au-delà de leur nom, il connaissait la vie de chacun d’eux, sa fortune, son épouse et jusqu’à ses maîtresses et qu’il avait fait sauter leurs enfants sur ses genoux.
Il poursuivit sa ronde, toujours attentif à l’expression de ces faces d’hommes soucieux de ses propos et dont certains se fussent regimbés sans doute s’il avait oublié de mentionner leur présence.
– Oui, messires, je connais votre hardement. Le tien, Geoffroy de Quedillac, le tien, Geoffroy de Païen, le vôtre, Guillaume de Hallay, Jean de Parigny ; le tien aussi, Sevestre Budes ; le tien, Berthelot d’Angoulevent que tes rondeurs ne gênent point lorsqu’il s’agit de férir du Goddon ; le vôtre également, Olivier Féron et Jean, votre puîné… et vous, Guy de Trelay… qui êtes beau !
Et soudain s’immobilisant :
– Toi, Pierre… Tu es bien l’un des hérauts de l’Archiprêtre ?
Oui, messire Bertrand.
– Où est-il ?
Il dort.
Le Breton poursuivit sa marche circulaire et s’arrêta une fois de plus :
– Ha, Castelreng !… Tu seras près de moi, j’en suis sûr, dans la presse.
Tristan acquiesça de la tête. Il avancerait. Il verrait les hommes d’en face osciller et se tordre, s’effacer, reparaître dans l’incohérence des gestes mortels et des clameurs conquérantes. Il serait fasciné lui aussi par la haine – cette haine qu’il ne portait pas dans son cœur mais qui ne pourrait qu’y germer dès les premières passes d’armes. Point d’écu. Il tiendrait sa Floberge à deux mains. Point de cotte d’armes. Il faudrait monter cette butte garnie
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