La couronne et la tiare
accompagner, dès les premiers jours de l’automne, Jean II en Avignon. Cependant, il accepte, persuadé, lui aussi, qu’Ogier d’Argouges est vivant quelque part en Normandie. De plus, il doit assurer la protection de Luciane qui l’a secouru à Cobham.
Ils chevauchent prudemment car les chemins sont infestés d’Anglais, de Navarrais et de routiers. Un jour, ils sont assaillis par des malandrins et Luciane qui depuis Paris, réclamait une épée, prouve qu'elle sait manier une lame (182) .
Berceau des Argouges. Gratot, en Cotentin a été préservé de la destruction des guerres et de l’invasion des plantes par Raymond, un ancien sergent, et Guillemette, sa compagne. Ces fidèles serviteurs révèlent à Luciane et à Thierry qu’Ogier vit encore. Désespéré par la mort de son épouse, Blandine et la disparition de leur fille, il s’est retiré à l’abbaye de Hambye proche de Coutances où, en qualité d’oblat – mais sans avoir pour autant légué son domaine aux bénédictins –, il accomplit des besognes serviles. Après des retrouvailles émouvantes, le chevalier réintègre sa demeure et y reprend son rang.
Parce qu’il doit appartenir à l’escorte qui accompagnera Jean II en Avignon, Tristan doit repartir pour Paris. Luciane, consternée, lui avoue qu’elle ne conçoit pas de vivre sans lui. Or, s’il n’est insensible ni à la beauté ni au caractère de la pucelle, le jeune prud’homme tient à rester fidèle à Oriabel, persuadé qu'il la reverra un jour, peut-être à Castelreng. Cepend ant, sur le chemin qui l’éloigné de Gratot, Luciane ne cesse d’imprégner ses pensées. Il advient qu’elle y supplée l’Absente.
Une nuit, Tristan et son écuyer arrivent à Tortisambert. Ils ne peuvent éviter de se mêler à la ribaudaille d’une petite ar mée occupée à ripailler dans la cité après l’avoir mise à sac. Bertrand Guesclin la commande. Le Breton s’apprête à attaquer Jean Jouel, un Anglais allié aux Navarrais. Ceux-ci ont fait halte au Pas-du-Beuil. A contrecœur et pour ne point être taxés de couardise, les deux compagnons acceptent de participer à l’échauffourée. Celle-ci, nocturne et acharnée, tourne à l’avantage des assaillants. Avant l’aube, édifiés sur le comportement des Bretons et la superbe de leur capitaine, Tristan et Paindorge reprennent en hâte le chemin de Paris.
*
Les renvois, dans cet ouvrage, sont plus nombreux que dans les précédents. La France passant de la tutelle d’un roi dérisoire à celle de son fils égrotant, hypocrite et matois, traversait une période de difficultés extrêmes : les routiers, les Navarrais, les Anglais, les intrigues, l’insupportable rançon de Jean II le Bon firent du royaume un lamentable échiquier sur lequel certaines ex-reines tinrent à jouer des rôles importants. Comment « reconstituer », nette et compréhensible, cette portion d’Histoire quasiment inextricable (adjectif créé en 1361, eu égard peut-être à la situation) ? Par des références solides et vérifiées sans cesse. Les uns en prendront connaissance, les autres passeront outre. L’essentiel est que l’auteur n’ait pas failli à sa tâche : distraire et enseigner.
P. N.
PREMIÈRE PARTIE
LE PAPE, LE ROI ET LE DAUPHIN
I
Tristan franchit le pont-levis par lequel on accédait à la cour du Louvre. Sous l’immense porche sonore, l’ombre se diluait dans les reflets de l’eau de Seine dont une douve, en cet endroit, mouillait les soubassements du palais. Aussi reconnut-il aisément Boucicaut qui marchait en sens inverse, sans épée, le buste couvert d’une cotte échiquetée de blanc et de vert tendre ornée, sur le cœur, d’un écu à ses armes : d’argent à l’aigle éployée de gueules.
– Castelreng ! s’exclama le vieux guerrier, les bras ouverts pour une brève accolade. Où étiez-vous ces temps-ci ?
– En Normandie, messire le lieutenant-général (183) .
Jean le Meingre agita ses mains comme s’il se les était brûlées sur les épaules de son vis-à-vis.
– Avez-vous eu à souffrir de toute sorte de guette-chemin ?
Afin de converser le moins possible, Tristan ne révéla ni l’échauffourée où Luciane avait prouvé son audace ni l’embûche du Pas-du-Beuil. Pour déjouer les ruses d’une adversité prompte et mortelle, Paindorge et lui avaient chevauché de nuit. Ainsi avaient-ils pu entrevoir quelques feux et
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