La dame de Montsalvy
ne soit pas remarquée ?
En entrant dans le grenier où l'on entreposait normalement les farines, l'avoine des chevaux et les fruits d'automne, Gauthier éteignit sa chandelle et les trois fugitifs demeurèrent un instant immobile, laissant leurs yeux s'accoutumer à l'obscurité. La grande pièce établie sur toute la longueur de la maison était coupée en deux par une cloison de bois servant de limite aux mansardes des servantes. Le fait qu'elles soient absentes simplifiait singulièrement la tâche de Gauthier qui
aurait dû primitivement les assommer. Une seule lucarne éclairait la partie réservée aux provisions et découpait un carré plus pâle dans les ténèbres qui sentaient la pomme et les raisins secs.
Gauthier posa sa chandelle à terre, ouvrit le battant de la lucarne qui était haute et étroite puis jeta un coup d'œil au-dehors.
— Est-ce que les gardes sont là ? souffla Bérenger.
— Je n'en vois que deux. D'ici le feuillage des arbres les cache.
Leur feu éclaire assez bien la façade de la maison mais pas suffisamment pour qu'ils puissent voir ce qui se passe sur la gouttière.
Elle surplombe le mur très suffisamment.
— Est-ce que tu vois la barque ?
— Non...
Au même instant onze heures sonnèrent. Dans l'ombre, Gauthier prit la main de Catherine et la serra.
— Courage, dame Catherine ! Cela ne sera pas long. Et surtout, surtout, n'ayez pas peur ! Quand vous serez sur la gouttière, tournez-vous vers la pente du toit et ne regardez pas en bas. Je vais passer devant pour vous aider et Bérenger fermera la marche. Nous pouvons y aller ?
— Nous pouvons. Soyez tranquille. J'essaierai de ne pas être trop maladroite... ni d'avoir trop peur !...
Souplement, le jeune homme se glissa au-dehors puis se mit debout sur le rebord. Se tenant d'une main aux sculptures qui ornaient la lucarne, il tendit l'autre à Catherine.
— Vous croyez que je vais passer ? souffla celle-ci avec angoisse.
J'ai l'impression d'être devenue tellement grosse !
Mais elle passa sans peine et soudain se retrouva en plein ciel plaquée des cuisses, du ventre et de la poitrine à la pente raide du toit.
Bérenger se hissa derrière elle et se colla à son côté. Son cœur cognait éperdument dans sa poitrine tant elle avait peur. Le vent froid de la mer, chargé d'odeurs de fumées, la glaçait jusqu'au cœur en dépit de la bure épaisse de sa robe monastique. Les bruits d'en bas, qui montaient jusqu'à elle, lui donnaient l'absurde impression qu'elle se trouvait exposée à quelque pilori géant.
— Personne ne peut nous voir, souffla Gauthier. Tout va bien... A présent nous allons avancer, doucement, tout doucement. N'ayez pas peur, dame Catherine, je vous tiens bien...
Il avait passé un bras autour de la taille déformée de la jeune femme dont les mains demeuraient appliquées au toit. Pas après pas, il la fit avancer le long de l'étroit chemin. Au-dessus d'elle, plus haut que l'arête ornementée du toit, Catherine voyait tournoyer des nuages dans le ciel noir mais, peu à peu, le faible éclairage venu du feu des gardes s'estompait, les abandonnait...
Il y eut un moment difficile quand on atteignit l'angle de la maison mais Gauthier, au risque de tomber lui-même, s'arrangea pour cacher le plus possible le vide au fond duquel luisait l'eau du canal. Cette fois on quittait la gouttière pour la corniche barrant l'étage le plus haut d'une maison en encorbellement. La pente du toit disparut pour faire place à un pan de mur vertical rayé de colombages.
— Nous y sommes presque, chuchota Gauthier. Tenez-vous bien à ce mur, je vais vous lâcher. J'aperçois le bateau, là, en dessous. Tu as la ficelle et le mouchoir, Bérenger ?
L'adolescent lui passa ce qu'il demandait par-dessus le dos de Catherine. Cramponnée à l'un des colombages, transie d'épouvante, la jeune femme n'osait plus faire le moindre geste.
Vivement, Gauthier déroula la pelote au bout de laquelle était attaché le mouchoir blanc et, quand elle fut presque entièrement déroulée, il sentit une tension.
— Il l'a ! souffla-t-il. L'échelle va arriver.
En effet, par trois tractions sur la ficelle, Saint- Rémy lui indiquait qu'il pouvait remonter. Un instant plus tard, Gauthier tenait l'échelle qu'il se mettait en devoir de fixer.
Ce ne fut pas facile. En équilibre instable lui-même, le jeune homme sentait, jusque dans sa propre chair, la panique qui s'emparait de Catherine. Collée à son mur, elle
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