La dame de Montsalvy
s'agenouiller.
— Adieu, monseigneur...
Il eut un geste de protestation.
— Pourquoi, adieu ? France et Bourgogne sont en paix... Pourquoi devrais-je être condamné à ne plus vous revoir ? Quoi que vous en pensiez... j'en serai toujours infiniment heureux !...
— Alors... à s'il plaît à Dieu !...
Elle baisa la main qui pendait le long du corps du prince puis, se relevant, quitta la chambre sans se retourner, refusant même d'entendre le soupir qui saluait sa sortie. Il fallait que cette page-là soit définitivement tournée.
Bérenger chantait. La voix de l'adolescent avait perdu la fraîcheur fragile de l'enfance mais, encore un peu enrouée par la mue finissante, trouvait déjà des sonorités chaudes qui vibraient agréablement quand il était joyeux comme en ce moment.
Quan vey la lauzeta mover De joy sas alas contra 7 rai, Que s'oblida e's laissa cazer Per la doussor qu'ai cor li vay Aï! tan grans enveya m'en ve De cui qu'en vey a jauzion Meravilhas
ay, quar desse La cor de dezirier no 'm fan 1.
1 Quand je vois l'alouette mouvoir de joie ses ailes à contrejour, qui s'oublie et se laisse choir pour la douceur qu'au cœur lui va hélas, je sens monter l'envie pour ceux que je vois heureux. C'est merveille qu'à l'instant le cœur de désir ne me fonde...
La langue d'oc sonore et musicale et surtout le ton de Bérenger prêtaient une gaieté à la célèbre chanson de Bernard de Ventadour dont le texte était plutôt mélancolique mais le page aimait cette chanson et il la lançai ^vigoureusement à tous les échos de ses montagnes natales.
Le long voyage s'achevait. On avait mis un grand mois à revenir des plaines de Flandre pour éviter le nord de Paris où les troupes du connétable de Riche- mont n'avaient pas encore fini de nettoyer le Vexin, les confins de la Picardie et les marches de Champagne des dernières garnisons anglaises et des assauts de Jean de Luxembourg, l'intraitable général bourguignon, le seul de son camp que le traité d'Arras n'eût pas satisfait. C'était dans la gloire d'un soir de juillet plein de chaleur, de bourdonnements d'abeilles et d'odeur de myrtille que Catherine, Gauthier et Bérenger achevaient leur dernière étape.
Mais que la dernière lieue de chemin était donc longue à parcourir !
Depuis la Croix de Thérondels, l'ancienne voie romaine, bien étroite et bien cahotante qui allait d'Aurillac à Rodez s'étirait capricieusement, rampait au long des croupes foisonnantes de châtaigniers chargés de leurs bizarres fleurs en forme d'étoiles pour roi mage en quête de divine vérité. Elle était déserte mais parfois le flot laineux d'un troupeau de moutons gagnant les hautes prairies par les drailles de menues pierres roulantes la traversait. Le berger alors saluait les voyageurs d'un geste de la main puis, sifflant ses chiens, reprenait son ascension patiente de son pas lent et régulier.
À l'idée de ce qui l'attendait à Montsalvy, le cœur de Catherine battait plus vite, à la fois d'espérance et de crainte. Espérance du foyer retrouvé, des rires de ses petits, de la chaude embrassade de Sara, de l'accueil des petites gens qui l'aimaient bien. Crainte de ce que seraient le premier mot, le premier geste d'Arnaud. Allait-il comme il l'avait juré la chasser loin de lui, la rejeter au hasard du chemin et des aventures sans fin ? Ou bien la douce et ferme influence de l'abbé Bernard lui aurait-elle enfin ouvert les yeux, fait comprendre que son épouse ne méritait pas le mal qu'il lui avait fait ? Mais peut-être ne serait-il même pas au logis ? Les derniers jours de son voyage avaient en effet appris à la jeune femme bien des choses inattendues concernant les événements de France.
Ainsi l'avant-veille, en arrivant à Aurillac pour y faire étape à la maison des hôtes de l'abbaye Saint- Géraud, les voyageurs avaient eu la surprise de trouver la ville en fête. Les consuls avaient ordonné prières publiques, ripailles non moins publiques et feux de joie pour célébrer la déconfiture définitive du plus dangereux, du plus tenace ennemi que la ville ait eu depuis les vingt dernières années, le charognard qui, si longtemps, avait dessiné dans son ciel ses cercles menaçants : le routier Rodrigue de Villa- Andrado.
En effet, revenant du long périple à travers la France qui l'avait amené jusqu'en Languedoc avec le dauphin Louis, Charles VII avait appris que le Castillan, profitant de son absence et toujours aussi sûr de lui,
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