La dame de Montsalvy
fît monter. Son parti fut vite pris.
Assujettissant son masque plus étroitement sur son visage il dit à Sara
: — Donnez-moi votre flacon de vinaigre et attendez là un moment.
Je vais aller ouvrir les fenêtres et vous faire un passage jusqu'à la cour.
Sara lui donna ce qu'il désirait et y ajouta une poignée de baies de genièvre en lui enjoignant de les mâcher. Josse disparut, refermant la trappe derrière lui pour plus de sûreté en dépit des protestations de Catherine que Sara dut maintenir de force.
— S'il te dit de rester là, il faut obéir ! Si tu t'évanouissais au milieu de l'horreur que je devine, cela n'arrangerait rien.
Elles attendirent assez longtemps, trop au gré de Catherine qui s'apprêtait à monter malgré Sara quand la trappe enfin se releva.
— Donnez-moi la main, dit Josse et surtout, surtout, marchez derrière moi jusqu'à la porte en essayant de ne pas trop regarder.
Il avait déjà fait du bon travail. À l'aide de crocs de fer il avait traîné au-dehors les cadavres des pestiférés et les avait empilés sous un hangar à bois, jetant sur eux des fagots auxquels tout à l'heure il mettrait le feu. La salle était encore ignoble à voir et surtout à sentir mais les deux femmes inondées de vinaigre et bourrées de genièvre purent la franchir sans perdre connaissance. Derrière Josse, elles coururent jusqu'à l'air libre et en avalèrent de grandes goulées avides. Mais aussitôt Catherine jeta un coup d'œil craintif vers l'amoncellement affreux que les fagots ne cachaient pas complètement.
— Arnaud ? souffla-t-elle. L'avez-vous vu ?
Josse fit signe que non, ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais Catherine filait déjà comme une flèche vers l'escalier qui menait à la grande salle et aux logis des châtelains.
Sara la suivit tandis que Josse, poursuivant son affreux travail de nettoyage, se disposait à enflammer son bûcher puis à chercher dans les magasins du château de la chaux vive qu'il voulait répandre dans toute la salle des gardes.
Malheureusement le drame ne s'arrêtait pas là. Dans la grande salle où les hommes de plus d'importance avaient festoyé, il y avait d'autres morts. Assaillie par l'horreur, Catherine dut s'appuyer à la muraille et vomit tout ce qu'elle avait dans l'estomac. Mais, quand le malaise fut un peu passé, elle se força à regarder l'un après l'autres tous ces morts affreux. Sur huit hommes, il y en avait trois à la peau brune, très certainement les envoyés d'Aragon. Il y avait aussi deux femmes dont tout ce que l'on pouvait voir c'est qu'elles devaient être très jeunes. Soudain, la voix de Sara résonna, dominant le cauchemar.
— Catherine ! Regarde ! Il y en a une qui est encore vivante.
En effet, tapie dans le recoin de la grande cheminée, une fille très brune qui pouvait avoir treize ou quatorze ans était recroquevillée sur elle-même, les yeux grands ouverts. Vêtue seulement de ses cheveux elle tremblait comme une feuille et se laissa emmener sans résistance quand Sara la tira de son refuge. C'était visiblement une Mauresque mais elle était trop profondément terrifiée pour pouvoir répondre aux questions, simples cependant, que Catherine lui adressait dans sa propre langue... Seulement, elle leva une main, indiquant le chemin d'une des tours, celle justement où le seigneur de Montsalvy avait son logis. Mais, cette fois, quand Catherine voulut s'élancer de ce côté-là, Sara l'en empêcha.
— Reste avec elle !... Tu en as assez vu comme ça ! Je reviens.
Sans trop savoir pourquoi elle obéissait, peut-être parce qu'elle était, elle aussi, frappée de stupeur devant la mort étalée à ses yeux sous sa forme la plus atroce, Catherine prit le bras de la petite pour la faire asseoir, aperçut une robe abandonnée sur un escabeau et qui n'était pas polluée et revint l'en envelopper. Au même instant, Sara reparut.
— Viens ! dit-elle. Il est atteint, mais il est encore vivant...
Suivies par la Mauresque trop heureuse de revoir des vivants, elles gravirent l'escalier sur les marches duquel un homme agonisait. Les affreuses taches noires truffaient tout son corps et sous son aisselle, un énorme bubon se gonflait, turgescent, noirâtre, horrible...
— Il n'en a pas pour longtemps ! dit Sara. Il n'y a rien à faire à ce stade.
— Mais Arnaud ?...
— Tu vas voir ! Je te préviens, la dentellière est là, elle aussi...
mais morte !
En effet, en entrant dans la chambre de son
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