La dame de Montsalvy
de Catherine que son dos ou un profil bien souvent détourné. Au lieu de voyager, comme naguère encore, encadrée par les deux garçons, qu'ils marchassent devant et derrière ou de chaque côté selon la largeur du chemin, elle allait à présent en tête de leur petite troupe sans plus jamais se retourner, l'œil fixé à l'horizon blanc continuellement renouvelé et se haussant parfois sur sa selle comme si elle cherchait à découvrir enfin un but connu d'elle seule. Aussi, à mesure que l'on avançait grandissaient de concert l'inquiétude de Gauthier et le chagrin de Bérenger qui cherchait en vain à comprendre pourquoi sa belle dame n'aimait plus ni ses chansons ni lui... Bien souvent, quand on reprenait le chemin à la pointe du jour tardif l'adolescent avait les yeux rouges. Mais Catherine ne s'intéressait plus à rien ni à personne...
Par Langres et le val de Meuse on gagna Neufchâteau où Catherine, enfin, consentit à sortir de son mutisme pour se mettre à interroger les rares passants que l'on rencontrait. Avaient-ils ouï parler d'une femme qui se prétendait Jehanne la Pucelle ?...
Savaient-ils où cette femme se trouvait à l'heure présente ?...
Mais elle n'apprit rien. Les gens hochaient la tête, la dévisageaient avec une sorte de crainte comme si elle n'était pas tout à fait dans son bon sens, certains se signaient mais tous sans exception passaient leur chemin rapidement, parfois en haussant les épaules... Visiblement, dans cette petite enclave lorraine cernée par les terres bourguignonnes, les gens craignaient les ennuis et le seul nom de Jehanne les faisait rentrer sous terre.
Ce fut pire encore à Domrémy, le petit village qui avait vu naître Jehanne, d'où elle était partie pour sa merveilleuse et tragique aventure. Le village, très petit, semblait mort et enseveli sous son épais manteau de neige. Les portes refusaient obstinément de s'ouvrir par peur des routiers et des pillards qui empruntaient continuellement le val de Meuse car la misère alentour était grande. Seul le curé, un homme d'une cinquantaine d'années, consentit à recevoir les voyageurs et à indiquer la maison de la famille d'Arc, laquelle était d'ailleurs très voisine de sa petite église.
— Mais vous ne trouverez personne. Le père est mort. La mère et les deux frères vivent à présent à Orléans... dans une île, je crois... On dit que les gens de là-bas la leur ont donnée et qu'on leur paie pension.
— N'avez-vous pas entendu dire que Jehanne, miraculeusement sauvée du bûcher, était revenue par ici ?
Vivement, comme les villageois de Neufchâteau, le curé se signa tandis que son regard doux s'effarait.
— On dit tant de folies ! Moi, je ne sais rien, foi de Guillaume Front... Je n'ai rien vu, rien entendu !... Personne ici ne sait rien !
Lui aussi avait peur. Mais de qui ? de quoi ? De ses supérieurs hiérarchiques, de l'Eglise qui en pays normand avait condamné la Pucelle comme sorcière, hérétique et relapse ? Des soudards bourguignons qui pouvaient s'abattre sur le pays comme sauterelles si leur duc apprenait la réapparition, même invraisemblable, même impossible de celle dont il avait eu si peur? Ou bien de l'aventurière elle-même, cette coquine -qui s'entendait si bien à inciter les capitaines trop crédules à maltraiter les pauvres gens...
Sans insister, Catherine remercia et poursuivit son chemin. A Vaucouleurs, les gens s'ils se montrèrent moins peureux ne se gênèrent pas pour hausser les épaules et ce fut tout juste si l'aubergiste chez qui l'on avait pris logis ne les jeta pas à la porte.
— Jeannette, on l'aimait, fit rudement le bonhomme. On ne permet pas qu'on touche à son souvenir ! Si vous cherchez une coureuse d'aventures c'est pas ici qu'il faut venir : on l'aurait déjà pendue depuis longtemps !
— Qui vous dit que je lui veuille du bien ?
— Que vous lui vouliez bien ou mal, peu me chaut !... Moi, je ne sais qu'une chose : Jeannette est morte sinon nous ne serions pas si malheureux !
Tandis que les trois voyageurs partageaient le maigre repas qui leur fut servi d'assez mauvaise grâce et uniquement parce que en ces temps cruels une pièce d'argent était bonne à prendre d'où qu'elle vînt, Gauthier qui, depuis Dijon, avait pratiquement laissé Catherine à ses pensées amères, se bornant à lui adresser la parole pour les seules obligations de la route, se décida à rompre le silence.
— Me direz-vous, dame Catherine,
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