La dame de Montsalvy
pourquoi vous cherchez ici celle qui se fait passer pour Jehanne d'Arc ?
— Mais... parce que c'est ici qu'elle est venue, il me semble, et c'était naturel : le pays d'enfance...
— Ce n'est pas ici qu'elle est venue ; vous devriez le savoir puisque l'aubergiste vous l'a dit : on l'aurait pendue !
L'aubergiste dit n'importe quoi. Je me souviens, moi, des paroles de mon époux. Ah, oui je m'en souviens ! Elles sont gravées là, ajouta-t-elle en désignant son front d'un geste farouche.
— Alors... voulez-vous me faire la grâce de me les répéter ?
— Certes. Il a dit : « Je l'ai revue quand j'ai rejoint Robert à Neufchâteau. Elle venait d'arriver à la Grange aux Hornes près de Saint-Privey... »
— D'où vous avez conclu que Saint-Privey et Neufchâteau étaient voisins.
— Naturellement !
— Malheureusement il n'en est rien ! Saint-Privey se situe tout près de Metz et votre erreur vient de ce que le capitaine de Montsalvy, suivant sans doute son idée, n'a pas jugé bon de donner plus d'explications. Je dois dire que les réponses que vous avez reçues étaient si brèves, si peu encourageantes que vous n'avez guère eu loisir de corriger votre erreur.
Un peu vexée, Catherine considéra le jeune homme avec méfiance.
— D'où savez-vous cela, vous ? Je n'ai jamais entendu dire que votre maison fût de Lorraine ?
— Ma maison non, mais ma mère oui ! dit Gauthier paisiblement.
J'avais même un oncle chanoine qui habitait Saint-Privey...
Malheureusement il n'est plus de ce monde. Je crois donc, si vous voulez retrouver cette femme, que la seule chose à faire est de gagner Metz... où je parierais bien qu'on l'a reconnue beaucoup plus abondamment qu'à Domrémy pour l'excellente raison qu'on ne l'y avait jamais vue.
La tranquille logique du garçon déchaîna chez sa maîtresse une brusque colère.
— Vous auriez pu le dire plus tôt ! Pourquoi vous être tu durant tout ce temps ?
Mais... parce que vous ne m'avez rien demandé. Depuis que nous avons quitté Dijon, madame... nous avons, cet enfant et moi, la pénible impression d'avoir cessé de vous agréer. Vous aviez, je crois, naguère de l'affection pour nous... et vous l'avez prouvé avec quelle abnégation, quelle grandeur d'âme en vous sacrifiant. Mais j'ai peur que l'épreuve n'ait été trop cruelle et qu'à présent vous nous détestiez autant que vous nous aimiez.
Pour la première fois, quelque chose s'émut dans le cœur -glacé de Catherine. Par-dessus la table où demeuraient les reliefs de leur repas, elle regarda son écuyer puis son page. A la lueur jaune de la chandelle dont l'odeur acre emplissait ses narines, elle vit enfin sur le visage dur de Gauthier une tristesse qui ressemblait à un reproche, sur celui encore enfantin de Bérenger les traces d'un chagrin qui ne voulait pas finir.
— Où avez-vous pris tout cela ? murmura-t-elle, touchée plus profondément qu'elle ne l'imaginait, par ce mot solennel de « madame
» qu'il avait employé.
— Dans votre attitude. Naguère vous me permettiez de vous garder, de vous protéger, souvent même de décider pour vous. Vous me laissiez mon rôle d'écuyer et vous vouliez bien même parfois lui donner les couleurs de l'amitié. A présent, j'ai l'impression d'être seulement pour vous un bagage... ; peut- être même un peu encombrant.
— Vous êtes fou !...
Elle se leva, s'approcha de Bérenger et, se penchant sur lui, entoura son cou de ses bras et posa sa joue contre les courts cheveux bruns qui poussaient un peu dans tous les sens.
— Pardonnez-moi, mon enfant... dit-elle doucement, et ne croyez rien de ce que vient de dire Gauthier. Certes non, je ne regrette pas de vous avoir sauvés ! C'est même la seule chose qui m'empêche de devenir folle : votre vie préservée. Et je crois bien que je vous aime plus encore qu'auparavant. Seulement...
— Seulement vous n'êtes plus vous-même !...
Gauthier s'était dressé et, tandis que Bérenger
vaincu par l'émotion sanglotait à la fois de joie et d'énervement dans le cercle des bras de Catherine,
appuyé des deux poings à la table, il donna libre cours à sa colère.
— Et il est temps que vous redeveniez vous- même ! Où êtes-vous, dame Catherine des bons et des mauvais jours ? Où est votre sourire, où est votre courage ? Où est la dame de Montsalvy qui savait tenir tête à une armée ou à une foule furieuse ?
Elle détourna la tête, gênée par ce regard gris habituellement si
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