La dame de Montsalvy
referma sans plus de bruit. C'était une table fleurie, doucement éclairée et chargée de vaisselle d'or d'où montaient des odeurs délicieuses. Des hanaps ciselés et sertis de pierreries contenaient des vins chatoyants. Doucement, Philippe prit la main de Catherine, la conduisit à la cathèdre d'argent garnie de coussins placée près de la cheminée et la fit asseoir, les pieds sur une grande peau d'ours. Puis, avec autant d'habileté et d'élégance que l'un de ses écuyers tranchants il emplit un petit plat d'or de belles tranches de saumon.
Elle le regardait faire avec un étonnement qui se changeait en amusement. Il semblait avoir soudain tout oublié des confidences si étranges qu'il venait de lui faire. Joyeusement il emplit une coupe et la lui offrit.
— Mon meilleur vin de Beaune ! Celui dont je suis le plus fier.
Buvons à la nuit des Rois ! A la plus belle nuit de l'année... À la plus belle dame d'Occident !
Ils trinquèrent ensemble, burent et Catherine laissa, avec plaisir, le vin chaleureux couler en elle, réveillant le souvenir assoupi d'autres heures aussi détendues.
— Pourquoi, dit-elle cependant, m'avoir joué cette comédie ?
— Laquelle ?
— Ce banquet solennel auquel vous vouliez que j'assiste ?
— Autrefois j'étais Philippe, pour toi... et tu me disais tu ! ... »
reprocha-t-il doucement. Puis, changeant de ton : « Aurais-tu accepté si je t'avais dit que je te voulais pour moi seul, que j'étais décidé à abandonner mes hôtes, ma cour pour quelques heures de notre ancienne intimité ?
— Non, je ne crois pas... dit-elle franchement.
— Tu ne crois pas ? Mais peut-être n'en es-tu pas tout à fait sûre ?
— Peut-être...
— Merci ! Buvons encore !
Le souper fut gai, amical. Philippe était joyeux et Catherine retrouvait, non sans plaisir, le compagnon charmant qu'il avait été si souvent jadis, bien loin des charges et des grandeurs de la couronne. Il lui dit les derniers vers de ses poètes, chanta la dernière chanson, lui raconta les derniers potins, glissa même quelques informations purement politiques, entre autres sa décision de rendre prochainement sa liberté au roi René... Catherine l'écoutait les yeux mi-clos, envahie d'un bien-
être qui lui paraissait tout nouveau après tant de misères et de tribulations.
Quand on en fut au dessert, il vint s'asseoir à ses pieds, sur la peau d'ours, et lui offrit des dragées qu'elle se mit à croquer. Il avait posé le drageoir sur ses genoux où l'une de ses mains se posa elle aussi mais si doucement que Catherine un peu perdue dans les brumes du vin trop généreux ne protesta pas. Appuyée aux coussins de velours, elle rêvait, laissant son esprit vagabonder à travers les souvenirs d'autrefois, le mettant en quelque sorte en vacances de ses chagrins habituels.
Elle ne parut pas s'apercevoir que Philippe lentement se redressait, s'agenouillait, laissait ses mains remonter insidieusement le long de ses cuisses qu'elles caressaient ; mais, derrière ses paupières baissées elle en suivait en frémissant le lent cheminement. Avec anxiété aussi.
Se pouvait-il que son corps, si monstrueusement malmené voici encore si peu de temps, pût retrouver si vite, et avec tant d'exigence, le grand besoin d'amour qui avait failli la jeter dans les bras de René d'Anjou ? Or les mains de Philippe, chaudes et habiles, de Philippe qui avait toujours été un amant incomparable faisaient naître en elle les sensations oubliées de jadis, ces appels profonds, ces explosions brûlantes qui, longtemps, lui avaient tenu lieu de bonheur ?
Elle entendait son souffle qui se faisait haletant. Les mains remontaient toujours mais, aux approches de son ventre, elles s'arrêtèrent et, avec un indescriptible sentiment de triomphe elle comprit qu'il hésitait, qu'il n'osait pas, lui, le maître de terres plus vastes qu'un royaume.
Quelque part une voix d'homme se mit à chanter en s'accompagnant d'un luth tandis que dans le lointain une horloge sonnait minuit.
Catherine, alors, releva les paupières. Elle le vit tout près d'elle, les lèvres tremblantes, les yeux implorants et brusquement lui sourit.
— Pourquoi t'arrêtes-tu, Philippe ? Pourquoi ne pas célébrer toute cette nuit des Rois à notre façon ?
Un soleil de joie incrédule éclata soudain dans les yeux du prince.
— Tu veux bien que ?...
Elle pencha vers lui son visage jusqu'à toucher ses lèvres.
— Je veux que tu m'aimes, que tu m'aimes une
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