La dame de Montsalvy
de Gauthier et de Bérenger. Je vous attendrai chez vous voilà tout ! Maintenant, je vais chercher les garçons... mais qu'avez-vous ? Vous n'êtes pas bien ?
Van Eyck, en effet, était devenu aussi rouge que son vêtement, un beau pourpre sombre, et il semblait tout à coup très malheureux.
— Écoutez, Catherine, je voulais vous le dire au moment où nous arriverions à destination mais il n'est pas possible que vous alliez chez moi... surtout sans moi !
— Pourquoi ? Vous avez donné des consignes tellement sévères à vos gens ?
— Ce n'est pas cela. Je... je suis marié !
— Quoi ? Vous êtes...
— Oui. J'ai épousé Marguerite trois mois à peine après votre départ, dès mon retour du Portugal. C'est le Duc, bien entendu, qui a arrangé ce mariage, très avantageux, pour me récompenser de mon ambassade. Une récompense si l'on veut d'ailleurs.
— Mais enfin... pourquoi ne l'avoir jamais dit ? C'est absolument stupide ! Nous sommes de si vieux amis...
— Je n'en ai pas eu tellement l'occasion, vous savez. Combien de fois vous ai-je vue depuis ? A Ronce vaux et puis ces jours derniers à Luxembourg... et c'est tout !
— Voilà une semaine que nous sommes ensemble. Il me semble que vous avez eu largement le temps...
— Je sais... mais voyez-vous, je ne suis pas tellement satisfait de ce mariage bien que j'en aie une fille. Ma femme et moi nous entendons plutôt mal et la plupart du temps je préfère l'oublier. Et puis, j'étais si heureux de vous avoir retrouvée ! Il me semblait que le temps s'était aboli, que tout était redevenu comme autrefois...
— Votre femme est jalouse ?
— Incommensurablement !
Il baissait le nez comme un gamin pris en faute, si drôle tout à coup, que Catherine éclata de rire.
— Mon pauvre ami ! Mais en ce cas pourquoi m'avoir offert l'hospitalité de votre maison ? D'ailleurs, je n'avais pas vraiment l'intention de l'accepter pour ne pas faire jaser les gens de la ville dont je connais la langue agile depuis longtemps.
— Mais parce qu'il n'y a aucune raison pour que vous ne veniez pas chez moi une fois ma femme dûment prévenue. Ce n'est pas une mégère, tout de même, et j'ai bien le droit d'aider une amie en difficulté. Nous irons...
Doucement, elle lui ferma la bouche de sa main.
— Nous irons moi et les miens à l'hostellerie de la Ronce-Couronnée. Cela me rappellera le temps où je venais à la foire de Bruges avec mon oncle Mathieu et nous y serons très bien.
— Vous êtes folle ! Vous installer dans une auberge pour y faire une fausse couche ? C'est de la démence ! En ce cas, pourquoi ne pas rentrer tranquillement chez vous ? Avez-vous oublié que vous possédiez une belle maison dans notre ville ? Vous la possédez toujours, savez-vous ?
— Je le sais mais il est impensable que j'y aille. Pour tout le monde ici, je rentre en France. Le duc Philippe devra toujours ignorer mon séjour à Bruges... et la duchesse Isabelle aussi.
— La duchesse ? Que vient-elle faire là-dedans ?
En quelques phrases, Catherine raconta sa brève
entrevue avec l'épouse de son amant, sans se défendre d'un plaisir secret en voyant s'allonger à mesure le visage de son ami. Etant donné la façon dont les choses s'étaient passées et sa déception quand elle avait refusé, hier, de s'attarder à Lille, elle en était venue à penser que Van Eyck n'avait jamais eu réellement l'intention de l'emmener chez lui, qu'il escomptait bel et bien qu'au passage à Lille Catherine verrait Philippe et qu'elle irait ensuite, le plus simplement du monde, occuper son ancienne demeure pour le temps de l'avortement... ou pour plus longtemps peut-être ?
À cette minute, il ressemblait trait pour trait à un renard qu'une poule aurait pris.
— Ainsi, elle sait ? soupira-t-il enfin et sa déception était si évidente que la jeune femme se remit à rire.
— Eh oui, mon pauvre ami, elle sait ! Et comme vous êtes sans doute le plus grand peintre de ce temps, elle ne doit garder aucune illusion sur l'auteur de ces chefs-d'œuvre. Votre facture est inimitable.
— Je me demandais aussi pour quelle raison je m'avais jamais trouvé, auprès de ma souveraine, accueil et sympathie... Je le sais, à présent...
— On ne peut pas plaire à tout le monde. Vous avez l'affection de votre maître, contentez-vous-en ! J'ajoute d'ailleurs qu'il ignore totalement, et la duchesse aussi à plus forte raison, que je suis arrivée ici avec vous et que je vais à Bruges.
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