La dernière nuit de Claude François
mettent ses vinyles sur leur pick-up.
Il porte une chemise blanche, des mocassins marron et un jean bleu comme il les aime : impeccablement repassé sans pour autant que le pli soit marqué. Dans une salle de répétition improvisée, aux murs recouverts de lambris en pin, Sylvie Mathurin a installé le tourne-disque portable dont il ne se sépare jamais. Prisca, Dany, Sandra, Julie et Béatrice, les Clodettes, sont en tenue de ville. Inlassablement, elles refont les mêmes gestes, peaufinent les enchaînements. Oscillement de la fesse droite, puis de la gauche. Un pas en avant, le genou levé, le coude aussi. Les deux mains au-dessus de la tête, on tape des mains, et on recule, et on saute en l’air, genoux pliés, genoux joints. Et on recommence…
Béatrice, brune coiffée au carré avec une frange, pantalon rouge et T-shirt blanc, travaille plus que les autres : c’est la petite dernière, la quarante-cinquième en douze ans. Elle veut bien faire, mais Claude veut qu’elle fasse encore
mieux. Elle s’applique mais manque d’entraînement. Il y a quelque chose de laborieux dans ses mouvements. On sent le travail, les automatismes ne sont pas encore là.
— Tu n’es pas prête, tu ne danseras pas aujourd’hui, finit-il par trancher, agacé, mais, à la surprise générale, sans colère.
Depuis qu’il les a inventées, en 1966, sur le modèle des Supremes qui accompagnaient Diana Ross aux États-Unis, il est d’une rigueur d’acier avec elles. Il ne leur passe rien. Au moindre faux pas, il déboule dans leur loge et n’hésite pas à les mettre à l’amende. Parfois, il n’attend même pas d’être sorti de scène pour les réprimander : il n’hésite pas à se retourner pour les vilipender, dos au public. Avec lui, il faut suivre la cadence.
Les Clodettes sont sa marque de fabrique. Sa griffe. Sa manière aussi de se concilier tous les publics : pendant que les femmes rêvent de lui, les hommes fantasment devant ces danseuses choisies pour leur talent, mais aussi pour leur beauté, leur allure, leur charisme. En résumé, pour leur « chien ». Avec leurs bodys pailletés ou leurs shorts aux couleurs vives, elles incarnent l’esprit de l’époque et contribuent à cette atmosphère joyeusement insouciante qui se dégage de ses chansons. Il les choisit grandes, avec de longues jambes. Il y a des blondes, des brunes, des rousses. Il y a toujours une Black, parfois une
Eurasienne – sa manière d’inventer une France multiculturelle avant l’heure. Généralement, il les repère dans les boîtes de nuit, dans des cours de danse ou lors d’émissions de télévision. Il se méfie des danseuses professionnelles, dont il ne voit que les tics et les trucs. Prisca, ex-petit rat de l’Opéra de Paris, est l’une des rares à avoir suivi un parcours classique.
Il veut des créatures de rêve qui dégagent de la fraîcheur et de l’enthousiasme : elles doivent vivre pour danser et non danser pour vivre.
Sylvie Mathurin, son habilleuse, lui a préparé son habit de scène : un smoking noir à paillettes et une chemise rose à jabot. Les Clodettes ont enfilé leur nouvelle tenue, des shorts de boxeuse en satin, avec un petit haut assorti. Chacune sa couleur : orange pour Prisca, rouge pour Julie, rose pour Sandra, jaune pour Dany. Pour la deuxième chanson, elles porteront des costumes brésiliens cousus de strass.
14 heures. Dans les coulisses du chapiteau, il embrasse Petula Clark, qui doit présenter l’émission. Une vieille connaissance : ils se sont souvent croisés sur les plateaux français,
à l’époque où la petite Anglaise faisait carrière dans l’Hexagone. Dans des loges de fortune patientent les autres invités de l’émission, des Anglo-Saxons, comme Bonnie Tyler et les Jack-son Five, mais aussi des Français, tels Charles Aznavour, Sheila et Carlos, car l’émission doit également avoir une version française. Petula enregistrera dans les deux langues, c’est pour cela qu’elle a été choisie.
Richard Armitage frappe à la porte de Claude et lance :
— C’est bientôt à toi !
Il s’approche de la scène, dirigé par la torche électrique de Sylvie Mathurin, et s’étire comme dans un dernier échauffement. Les quatre Clodettes restent groupées derrière lui et le rideau de scène bleu s’ouvre sous le panneau rappelant le titre de l’émission, « Showtime Special ». Il s’avance sur l’introduction musicale dans un tonnerre
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