La dernière nuit de Claude François
J’ai compris : j’arrive.
Quand il lui ouvre la porte de sa chambre, il s’est recouvert du drap de son lit et se jette sur elle dans un éclat de rire.
— Je suis le diable !
Il se moque de cette vieille croyance, comme pour la conjurer ; en même temps, elle est là, présente, lancinante, obsédante. C’est une de ces
peurs enfantines dont on se gausse, mais dont on n’arrive jamais à se défaire complètement.
— Alors comme ça, tu voulais m’abandonner ? lâche-t-il avec une parfaite mauvaise foi.
Toujours cette manière de provoquer. La défensive pour mieux se préserver.
— Je t’avais bien dit qu’un jour tu me quitterais, poursuit-il. Toutes les femmes me jurent fidélité mais, à la première occasion, elles me trahissent.
— Je ne t’ai pas trahi. Je serai toujours près de toi.
Il lui parle de ses projets, de ses ambitions européennes et américaines. Il n’est pas dans le présent, mais dans le futur.
— Tu verras, quand on sera vieux, toi et moi…
En se mettant à parler d’âge, c’est toute son angoisse qui le submerge. Il se blottit contre Sylvie, elle lui caresse les cheveux, doucement, tendrement, elle est heureuse d’être près de lui, même si elle sait qu’elle ne sera jamais la première à cette place.
Le temps ne semble plus avoir la moindre prise, et Claude se laisse engloutir par le sommeil.
Il dort.
Elle se lève et allume une petite lumière dans la salle de bains, qui agira comme veilleuse et le rassurera s’il se réveille, avant de quitter la
chambre sur la pointe des pieds pour rejoindre la sienne.
Il doit être 6 heures et, dans le couloir, elle croise un employé du room-service qui pousse devant lui un chariot avec une cafetière et des viennoiseries. Les clients les plus matinaux sont déjà debout.
— Faites attention à ne pas le réveiller, lui dit-elle doucement. Il vient juste de s’endormir.
Elle parle de lui comme d’un enfant.
Vendredi
10 mars 1978
Les Clodettes sont reparties à Paris quand il se réveille, vers 13 heures. Elles ne figurent pas au tableau de service du jour. La veille, il a pourtant insisté afin qu’elles restent. Son éternel besoin d’être entouré. Mais elles ont d’autres engagements, personnels ou professionnels : deux voitures les ont emmenées à l’aéroport de Genève tôt le matin.
En tirant les rideaux, il découvre le soleil qui inonde la vallée d’une belle lumière bleue. Il ouvre la porte-fenêtre et s’avance sur le balcon, exposé plein sud, qui donne sur le glacier des Diable-rets, dont l’une des pointes, un éperon rocheux, s’appelle la « Quille du diable ». Claude sait-il seulement qu’on le désigne ainsi ? Imagine-t-il un seul instant que les bergers l’ont surnommé de la sorte, persuadés que les esprits sataniques y habitent et déversent les pierres et autres éboulis qui s’abattent sur la vallée et tuent leur bétail ?
Et si, finalement, cette histoire de diable en Suisse n’était pas si abracadabrante que cela ?
Pendant qu’il prend son bain, Sylvie l’a rejoint dans sa chambre. Elle prépare sa tenue pour le tournage de l’après-midi qui se déroulera en extérieurs dans la station. Cette fois, il faut jouer la carte du naturel décontracté. Elle choisit un pantalon de flanelle gris, une chemise beige clair à fines rayures et un pull rouge à col en V.
— Cela te convient ? lui demande-t-elle.
— C’est exactement ce que je pensais mettre !
Pour ce qui est des chaussures, elle est nettement moins sûre de son coup. Le soleil a fait fondre la neige, il y a de la gadoue partout dans les rues : elle lui montre des après-skis.
— Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution ?
— Tu ne vas pas mettre tes boots à semelles de cuir, lui rétorque-t-elle, alors qu’il enfile déjà, docilement, la paire préparée par son habilleuse.
De toute façon, on ne verra pas ses pieds. Il est filmé en plan américain dans les rues de Leysin, puis sur le balcon du premier étage de l’hôtel. La réalisation est simple, les caméras de l’époque sont lourdes à manipuler, elles permettent peu d’audaces, il n’y a ni Louma ni Steadicam.
Les prises de vues commencent avec un peu de retard : la saison s’achève, il a fallu faire venir un canon à neige pour renforcer la couleur locale. Avec sûreté, Claude cale impeccablement le mouvement de ses lèvres à sa voix, diffusée
en play-back sur des enceintes
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