La dernière nuit de Claude François
aux allures d’affirmation.
— Et comme boisson ?
— Vous ne devinez pas ?
Depuis son arrivée, elle aurait dû remarquer qu’il ne choisissait que des vins du Bordelais. Une passion chez lui. Au moulin, sa cave leur est entièrement consacrée. Même s’il n’aime rien tant qu’en faire profiter ses invités, non pas pour épater, mais pour faire plaisir, il entretient avec ses bouteilles une passion exclusive. Personne d’autre que lui n’a le droit de pénétrer dans sa cave, son repaire secret.
Sur la carte des vins du Leysin, il choisit une fois de plus les meilleurs crus. Pour ses proches, rien n’est jamais trop beau.
La soirée s’éternise, et Claude est bien décidé à la faire durer encore plus longtemps. Il lui faut toujours reculer le moment de s’endormir. Après avoir signé le livre d’or du restaurant, il lance :
— Allons prendre un dernier verre !
Seule Sylvie préfère rentrer à l’hôtel. Elle file sur ses vingt-deux ans, et, depuis une dizaine d’années, elle suit Claude comme son ombre. Avec sa grande mèche qui lui barre le front, ses larges paupières et ses yeux en amande, elle a effectué le parcours obligé : ancienne fan, elle a renoncé au bac et à son envie de devenir institutrice pour se retrouver, enfermée dans un cagibi, à trier les centaines de lettres qui arrivaient chaque jour dans un gros sac postal aux bureaux de Podium . Aujourd’hui, elle est son habilleuse. Le poste le plus envié de la galaxie Claude François. Le plus stratégique aussi. Il réserve une extrême intimité avec l’idole ; lors des concerts, c’est Sylvie qui passe le plus de temps à ses côtés et c’est à elle qu’échoit le suprême privilège : l’aider à enfiler son peignoir quand il sort de scène ruisselant de sueur. Elle lui voue un « amour absolu », comme elle dit. Elle vit pour lui, mais lui ne vit pas pour elle, même si sa présence le réconforte.
— Garde toujours pour moi cette petite flamme dans les yeux, lui a-t-il dit un jour.
Mais c’est toujours la même chose : avec les gens de sa cour, il peut se montrer blessant, vexant, humiliant. Injuste. Quand Ticky Holgado était son secrétaire-homme à tout faire, il exigeait qu’il « fasse » ses chaussures, les
deux hommes ayant la même pointure. Avec lui, le mot « souffre-douleur » est toujours au pluriel. Il ne respecte vraiment que ceux qui lui résistent. Sylvie en a avalé une boîte de médicaments, il lui a dit que, si elle recommençait, il la virerait. Elle n’a pas repris de cachets, mais il a fini par la licencier, car elle était trop à fleur de peau, trop susceptible, trop envahissante. Il a fallu engager une autre habilleuse, puis une autre, puis encore une autre. Chaque fois, cela ne convenait pas. Claude avait juste oublié que son dévouement religieux la rendait plus indispensable que les autres, alors il a fini par demander à Nicole Gruyer, sa directrice générale :
— Vois si Sylvie est libre.
Bien trop orgueilleux pour l’appeler lui-même.
Ce voyage en Suisse marque leurs retrouvailles.
— Je suis content que tu sois là, lui avait-il simplement lâché quand ils s’étaient retrouvés la veille au Studio 44.
Sylvie est toujours aussi fascinée, mais elle sait qu’elle doit garder ses distances. C’est pour cela qu’elle ne l’a pas accompagné en boîte, même s’il a insisté pour qu’elle vienne. Prétextant un coup de fatigue, elle se force à rester dans son rôle, même si cela lui coûte : à peine rentrée à l’hôtel Central Résidence, elle est passée dans sa
chambre pour fermer les rideaux, ouvrir son lit et allumer une lampe de chevet pour qu’il n’ait pas l’impression de tomber dans un trou noir quand il rentrerait. Cet homme qui vit dans la lumière ne supporte pas l’obscurité. Pour lui, le sommeil est comme une mort lente. Le photographe Jean-Marie Périer raconte qu’au début des années 1960, lorsqu’il l’accompagnait en tournée, Claude lui demandait de dormir dans la même chambre, lui racontant jusque tard dans la nuit ses souvenirs d’enfance : « En nous voyant sortir, le matin, les fans étaient effondrées. » Plus tard, nombre de ses secrétaires particuliers passeront leur nuit à somnoler dans un fauteuil devant sa porte.
Sur le coup de 2 heures du matin, le téléphone sonne dans la chambre de Sylvie.
— Tu dormais ?
— Non.
— Tu sais que le diable habite en Suisse ?
—
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