La dernière nuit de Claude François
les balcons environnants ou se sont juchés sur les panneaux et autres feux de signalisation. Rien ne les empêchera d’être là, pas même la pluie qui, ce matin-là, a succédé au beau temps des derniers jours. Une de ces pluies de fin d’hiver, fine, lancinante, continue, qui vous glace les os.
Boulevard Exelmans, quelques-unes des fans qui n’avaient pas quitté le palier depuis la mort
de Claude sont autorisées à se recueillir devant sa dépouille. La mise en bière a lieu en milieu de matinée. Avant que les pompes funèbres ne ferment le cercueil d’acajou, Jean-Pierre Bourtayre dépose dans la poche de Claude une photo de ses enfants et le petit magnétophone qu’il utilisait pour dicter ses fameuses notes de service.
Les proches du chanteur prennent place dans sept limousines américaines, noires, qui suivent le corbillard, constellé de couronnes de roses, de lis et de lilas blanc. Il est 11 heures quand le convoi arrive devant l’église d’Auteuil. Dans la foule – on parlera de six mille personnes –, des pleurs, des gémissements, des plaintes, des cris. Une véritable hystérie, mais une hystérie rauque, douloureuse, empreinte d’une folle tristesse et d’un profond désespoir – des fans s’évanouiront et devront être évacués par les forces de l’ordre.
Les cinq cents invités, dont une belle brochette de stars de la chanson et de la télévision, sont déjà dans l’église : ils ont reçu la veille un faire-part ourlé de noir précisant : « Cette invitation est strictement personnelle et sera exigée à l’entrée. » Quelques cartons seront néanmoins achetés jusqu’à 1 000 francs au marché noir par des « favinets » ou « favinettes » prêts à tout pour entrer dans l’église.
Chouffa, le visage couvert d’une voilette noire, s’avance dans la nef, soutenue par Paul Lederman. Kathalyn est aux côtés d’Isabelle : elles semblent sœurs. Devant le catafalque, au pied duquel deux couronnes ont été déposées, celle du président de la République et celle de la famille, le père Landger, aumônier des artistes, célèbre la messe :
« Claude François était un anxieux, tourmenté par les problèmes de la foi, de la vieillesse et de la mort… »
Au terme de la cérémonie, les Fléchettes, les choristes de Claude, entonnent l’ Ave Maria de Gounod. À la fin, leurs voix déraillent, étranglées d’émotion.
Elles sont tellement tristes qu’elles ne se disent même pas qu’elles viennent d’échapper à une sérieuse mise au point…
À la sortie de l’église, il y aura encore des larmes, des cris et des évanouissements. De même à Dannemois, où des admirateurs essaieront de grimper aux murs du cimetière, car l’entrée est strictement contrôlée par des policiers en képi.
Juste avant la première pelletée de terre, Kathalyn sort de son sac une fiole bleue remplie d’eau bénite.
Le flacon que Josette avait donné à son frère pour le protéger de ses visions fantomatiques.
Elle en asperge le cercueil et s’éloigne. Elle se dit qu’elle ne pourra plus vivre en France, ce pays qui lui a tout donné, puis tout repris en l’espace d’un instant.
La pluie a cessé, mais le ciel est gris foncé, presque noir. Soudain, l’assemblée est assaillie de violentes bourrasques et d’un bruit assourdissant, infernal, comme si la terre s’ouvrait, comme si le ciel se révoltait, comme si les éléments voulaient renverser le cours des choses.
Il n’y a jamais de retour : ce n’est qu’un hélicoptère, avec à son bord des paparazzi en quête d’un cliché exclusif.
Alors que les proches et les fans de Claude François assistent à son enterrement, les disquaires déballent les cartons contenant son dernier 45 tours : « Alexandrie, Alexandra. »
Opportunisme commercial ? Nullement, la sortie était prévue ce mercredi, depuis plusieurs
semaines déjà. Même la pochette aux allures de faire-part de deuil avec son fond noir n’est pas de circonstance : c’est Claude François qui l’a choisie quelques semaines plus tôt.
Cette chanson restera comme son ultime coup de génie. Depuis des années, il souffrait du mépris que manifestaient les intellos à son égard. Une culture jeune succède à une autre : celle des années 1970, politisée, radicale, subversive, était en train de faire passer celle, légère et joyeuse, des années 1960 pour conservatrice, voire réac. Dans une France subissant un
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