La dottoressa
voulait, ou
qu’on pouvait, et de là nous sommes allés à Pisciotta, où il y a une plage, une
de ces adorables plages qui s’allongent loin, fabuleusement loin. Pisciotta est
posé à mi-course au-dessus, et il y avait cette plage qui n’en finissait plus, et
là où des rochers avançaient dans la mer nous les escaladions, ou si c’était
trop dur nous faisions tout simplement le tour à la nage. C’était pratique, étant
donné que Gigi pouvait aller tout nu, et moi dans mon pantalon de dessous, un
point c’était tout, qui séchait ensuite en cinq sec.
Personne ne venait s’y baigner, sur cette plage. Elle était
complètement sauvage, déserte. On contournait le récif, et puis c’était de
nouveau le sable, et ainsi de suite, sans arrêt, jusqu’au banc de sable suivant,
droit jusqu’à Pisciotta. Et après, nous sommes remontés vers la voie de chemin
de fer, pour redescendre par train sur Sapio et Paola. Là, nous avons pris une
chambre pour la nuit (dans un bistrot minuscule) moyennant, tout compris –
le souper et le vin ainsi que le petit déjeuner – tout compris, oui, quinze
lires par tête… quinze multiplié par deux égale trente lires. Autant dire
presque rien, ou peu s’en faut.
À notre retour à Positano, même nos gens ne nous
reconnaissaient pas, je vous jure – pas plus Ritzenfeld que Frieda. Nous
avions l’air de deux sauvages, il faisait un temps merveilleux, très, très
chaud, on avait beau être seulement en mars… oh ! là ! là ! oui,
ça chauffait !
Ensuite je suis repartie, j’étais déjà un peu en retard pour
mon semestre d’été. Mais quand il a été fini, ce semestre d’été à Vienne, dans
les derniers jours de juillet, j’ai repris le train, seule, et le direct, de
Vienne à Salerne.
LA GUERRE EST DÉCLARÉE
En juillet 1914, vers la fin juillet comme j’ai dit, j’arrivai
donc à Salerne. Gigi vint à ma rencontre, il avait pris le bateau – en ce
temps-là il en existait un qui assurait le service
Salerne-Positano-Capri-Naples. Encore une chose qui a disparu comme tant d’autres.
Tout va de mal en pis, et pas en mieux.
Toujours est-il qu’à Positano Gigi avait une petite maison, en
bas, tout contre le rocher, qu’il avait louée. Une seule pièce et une minuscule
cuisine, le tout adossé directement au rocher. C’est dans cette bicoque que je
suis venue m’installer en arrivant. Tous nos amis étaient là ; nous
allions nous baigner en chœur à la plage d’Arienzo, et tout nus la nuit. C’étaient
de vrais rêves, ces dernières nuits de juillet, juste avant que ce soit soudain
la guerre ! Et par une de ces belles soirées, il y eut un vacarme
terrifiant sur la piazza de Positano, parce que quelqu’un avait rapporté de
Naples un journal. Les cloches sonnaient le glas et tout le monde pleurait en
criant que la guerre était déclarée. C’était une consternation d’autant plus
grande que personne parmi ces gens n’avait idée de ce qu’était la guerre –
il n’y en avait jamais eu, la dernière en date en Europe avait été celle de
1870 qui ne les avait pas affectés – et, finalement, si grande était leur
inquiétude que beaucoup d’entre eux poussaient de grands cris et sanglotaient en
se frappant le front et la poitrine, il y en avait même qui vomissaient, et d’autres
qui buvaient du vino jusqu’à ce qu’ils roulent sous la table.
Nous, nous étions frappés d’horreur. Naturellement, le
docteur Bauer savait qu’il ne me restait qu’à faire immédiatement mes bagages. Gigi,
lui, disait que je devais me rendre en Suisse. Et il y avait le professeur
Woltereck, de Leipzig, qui disait lui aussi : « Retour au bercail ! »
C’était de l’Allemagne qu’il parlait, bien entendu, pour ce retour immédiat, de
l’Allemagne qui avait déclaré la guerre avec l’Autriche… et nous n’y
comprenions rien… c’était la confusion la plus totale, comme au temps des
incursions des Sarrasins.
Il faut dire qu’à Positano, cette dernière fois où j’y étais,
à Positano, oui, vivait un dénommé Gambarletta, un très vieil homme, un vieux
pêcheur, qui nous racontait des histoires de Sarrasins, en bas sur la plage –
comment femmes, hommes, tout le monde se sauvait dans la montagne, loin, très
haut, dans les montagnes du Monte Nocella. On emmurait toutes les choses d’un
peu de valeur, et puis on se sauvait dans les collines et on attendait. Tout le
monde, sauf les jeunes femmes ; elles,
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