La dottoressa
entre Sorrente
et Positano. Il habitait toujours dans la maison de Frieda. Ritzenfeld et elle
s’étaient trouvé un domicile permanent. Il m’abandonna sa chambre et s’en alla
camper quelque part, non loin de là. Derrière le lit, dans une sorte de niche, il
y avait un gros serpent, une vipère domestique, et Gigi me dit en m’installant :
« Je vais lui chercher un bol de lait, parce que ce serpent a l’habitude
de boire son lait tous les matins. » Ça ne m’enchantait guère d’avoir un
serpent juste à côté de mon lit, mais c’était la bonté incarnée, cette vipère, elle
ne m’a jamais fait de mal.
Donc me voilà à Positano, avec les concerts chez le docteur
Bauer. Comme je préparais mes examens de sortie, je m’entraînais aux exposés et
je forçais Gigi à écouter, mais ça n’a pas tardé à nous assommer. C’était le
mois de mars, je le répète, et il faisait un temps superbe, alors nous avons
décidé d’aller visiter un peu la Calabre. Quelles journées magnifiques, quand j’y
pense. Notre histoire d’amour suivait son cours. Oui, oui, cette fois-ci ça
marchait, c’était du sur mesure. Je crois l’avoir dit : il était venu me
cueillir à l’arrivée, un œillet à la boutonnière !
Bref, va pour la Calabre ! Et, naturellement, il s’était
entendu avec les pêcheurs pour que, la prochaine fois qu’ils iraient à Salerne
et à Paestum, ils nous prennent à bord. Lui en tricot de marin et en pantalon, moi
en jupe et maillot de marin aussi. Dieu soit loué, j’avais des sandales. Pas
lui. Ils allaient tous nu-pieds à l’époque. Devant Paestum c’était la tempête, le
bateau avait du mal à accoster, nous avons dû sauter dans la vague, et mes
sandales en ont profité pour s’en aller à vau-l’eau, mais ça m’était bien égal :
mi-nageant, mi à quatre pattes, nous sommes arrivés à terre, et morts de rire
en plus – vous voyez ça d’ici ? – et les autres se sont occupés
du bateau.
C’était vers les midi, ça, et l’après-midi nous a retrouvés
dans la plaine qui va d’Acropoli à Paestum, et là nous avons été pris par un de
ces orages !… Jamais je n’ai vu son pareil, de toute ma vie. Comme c’est
plat comme la main, par là, et tout marécage, nous avons dû nous jeter par
terre, à plat aussi dans un fossé ; nous avions peur d’être foudroyés en
restant debout. La foudre frappait de tous les côtés, les éclairs bondissaient
comme des sauterelles. Mais ça n’a pas duré, en vingt minutes c’était
complètement fini. C’est égal, le mauvais sang que j’ai pu me faire pendant ces
vingt minutes – terrible ! Jamais je n’aurais cru que ça pouvait être
si effrayant… Après, le soleil est sorti, nous avons été tout de suite secs. Et
en route pour Acropoli, qui était un petit endroit où on trouvait à manger, mais
pas dans un bistrot, non – en ce temps-là c’était souvent comme ça : dans
une maison, une sorte de grand bazar où on pouvait acheter de tout, et aussi
manger si on voulait ; même, il y avait une chambre – la porte à côté –
où nous avons pu coucher. Ça n’existe plus aujourd’hui, ce genre d’organisation.
C’était très charmant, sauf que nous avons démoli le lit. Sans doute qu’il
devait déjà ne plus tenir en pièces, avant.
Le matin, quand nous sommes venus prendre le petit déjeuner,
les paysans ont été horrifiés en voyant Gigi engloutir quatre ou cinq œufs
séance tenante. Ils nous montraient du doigt, et ils ont dit qu’il fallait
absolument que Gigi m’achète des chaussures en bois. Je me rappelle très bien
qu’un de ces paysans le tira à l’écart et lui dit : « Achète-lui des zoccoli, des sabots. »
Bien sûr, ce n’était pas donné, mais qu’est-ce que ça
coûtait ? Trois fois rien, cinq centesimi, un soldo. Pour le
lit démoli par notre faute, nous avons dû payer dix centesimi, deux soldi. Quel adorable coin, Acropoli ; les Hohenstaufen y avaient eu un
château, dont les ruines étaient très bien préservées. Et de ces ruines nous
sommes allés à Ascea et à Elea, qui sont des sites de fouilles archéologiques. C’était
en mars, oui, mais il faisait aussi merveilleux qu’en plein été. Les paysans
étaient si aimables que le plus souvent nous devions nous asseoir avec eux, sous
le coup de midi, et qu’ils nous offraient le vin et les figues – magnifiques,
ces figues ! – et des noix, et on pouvait manger tant qu’on
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