La dottoressa
petit trou merveilleux quelque
part en remontant le fleuve – c’était la saison où les cerisiers sont en
fleurs comme tous les autres arbres. Il y avait là une auberge – l’endroit
s’appelle toujours Landhaus-am-Rhein – et c’est dans ce petit coin que
nous avons célébré notre lune de miel. Ça n’en fut pas vraiment une, sauf
techniquement. Je l’ai dit, ce garçon était d’une beauté !…
À CAUSE D’UN SIMPLE FŒTUS
Naturellement, nous ne sommes pas restés longtemps. Gigi
avait décroché une commande de peinture par l’intermédiaire du docteur Bauer
qui avait été transféré à Kœnigsberg pour son service militaire. Il s’agissait
du portrait de Hindenburg. Il était bon peintre de portraits, Gigi. Bref, nous
voilà partis pour Kœnigsberg.
Nous sommes passés par Munich. La vie était encore un rêve, à
Munich. Nous étions descendus dans un petit endroit en dehors de la ville, où
on faisait l’élevage de la truite et de l’omble chevalier, et là nous nous
sommes offert une seconde lune de miel, beaucoup plus belle qu’à Landhaus, et
puis encore une autre à Munich même ; ensuite nous avons remonté jusqu’à
Kœnigsberg et loué une chambre quelque part non loin du zoo. Le vendredi était
jour sans viande pour les animaux carnivores, et les lions rugissaient ; à
part ça c’était charmant. Et à Kœnigsberg, je me suis présentée tout de suite
pour proposer mon aide à l’hôpital, puisque c’était la guerre. J’avais reçu mon
diplôme un mois avant notre départ de Vienne, au cours d’une très jolie
cérémonie à laquelle assistaient Tandler et Reinhold.
Gigi n’y était pas venu, mais Maman, si (Papa était paralysé).
C’est uniquement pour le mariage qu’ils m’avaient refusé leur bénédiction. Mon
diplôme était celui de médecine générale. À Kœnigsberg, j’ai commencé à
travailler pour le professeur Winter, au service de gynécologie et d’obstétrique,
comme interne : j’administrais les anesthésiques pendant les opérations. C’est
le genre de travail qu’on donne toujours aux débutants, et j’étais vraiment
très compétente comme anesthésiste. Une fois, pendant que j’endormais un
patient, je suis tombée complètement dans les pommes ; il y avait là le
docteur Bentin, qui m’a dit ensuite (il m’appelait Liesl) : « Qu’est-ce
qu’il y a, Liesl, ça ne va pas ? » Je lui ai répondu que j’avais fini
par me sentir mortellement mal en pratiquant cette anesthésie, et il a dit :
« Je vais vous examiner. » Moi, j’ai dit : « Ça va tout à
fait bien, je vous assure. »
Là-dessus il m’examine : j’étais enceinte de cinq mois.
Je n’avais rien remarqué. Vous savez, quand j’étais jeune il
y avait des fois où mes règles venaient, d’autres où elles ne voulaient pas. Des
mois d’affilée, rien ; et de plus j’étais tout le temps un peu maigre et
anémique. Tout ce que j’avais remarqué, c’était qu’à Munich la bière n’avait
pas très bon goût, mais jamais l’idée ne m’était venue à l’esprit. Le docteur
Bentin m’a dit : « Fini pour vous, l’anesthésie. » Et comme c’était
l’été, il m’a recommandé le bord de la mer. Gigi avait gagné pas mal d’argent
avec ses portraits ; nous sommes donc allés au Kurische Haff, au Kirish
Nehring, où on trouvait de magnifiques dunes de sable et une belle plage :
là je me suis sentie très bien. Gigi était si content qu’il en avait la tête
toute retournée de plaisir. Ses parents et les miens ont été immédiatement
informés, et alors les communications ont commencé, venant de la famille :
« Oui, tout est pardonné, mais tu ne dois plus rester à Kœnigsberg, on va
vous louer un appartement avec un atelier pour ton mari, à Doebling. » Et voilà !
À cause d’un simple petit fœtus, le monde entier devient un jardin plein de
roses. Ils avaient refusé de bénir le mariage, mais maintenant ils débordaient
de joie. Bref, nous sommes repartis pour Vienne, pour aller habiter le quartier
des villas, tout en haut de la Peter Jordan Strasse, dans un atelier plus
chambre.
Ça vous taquine de savoir ce qu’il en a été de Hindenburg, hein ?
Moi, je ne l’ai pas rencontré ; il n’y a eu que Gigi. D’une part, il le
décrivait comme un grossier, et de l’autre comme un très brave homme. Il était
agressif, prussien, mais foncièrement très bon. Gigi a aussi peint un portrait
de Ludendorff, plus
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