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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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ma déception, la pilule à été dure à avaler, mais
j’ai été prise de panique, car c’était formellement interdit, et à l’époque la
loi était des plus strictes. Alors, un beau jour je lui ai dit : « Fichez-moi
le camp tout de suite, que je ne vous revoie plus ! » Sur quoi, comme
il devenait insultant et qu’il me menaçait, j’ai dit : « Vous, en
fait de menaces taisez-vous, sinon c’est moi qui vous menace d’une visite à la Questura ! » Total : il a repris le bateau oui, pour ne plus revenir. Malgré tout, j’ai
gardé mon cabinet. Au début, ça n’a pas été facile, puis c’est allé mieux. Beaucoup
de filles me demandaient de les faire avorter, eh oui, mais je leur disais que
pour ça c’était à Naples qu’il fallait aller. À Capri, c’est chaque fois la
même rengaine : troppo amore – on fait trop l’amour. C’est
naturel, mais quand on doit y mettre ce prix-là… ce n’est plus si bon. On dit
que c’est l’air de Capri qui veut ça, surtout quand les herbes sauvages sortent,
au printemps, sur le Monte Solaro ; on dit aussi que ça a quelque chose à
voir avec la nature volcanique du sol. Ce pauvre air, de quoi ne va-t-on pas l’accuser !
    Avec Tutino non plus je n’étais pas à la noce ; naturellement,
depuis le début il n’avait cessé d’être contre – contre l’idée que je
partage le cabinet avec l’autre, le Cicaglione. Toujours sa jalousie. Il
ignorait tout du reste, des avortements qui s’y étaient pratiqués. Il avait
beau, ne plus avoir quinze ans, les Italiens sont ainsi faits. Ce devait être
dans les trente-huit ans qu’il avait alors ; quant à moi… je ne sais plus…
la quarantaine passée. L’âge ne fait rien à la chose. Et puis de quel droit
est-ce que je parle de ça, comme si je n’avais pas toujours été une jalouse, moi
aussi ? Chez les hommes c’est de la rage ; chez les femmes c’est bien
pire, c’est de la férocité.
    Bref, je lui ai seulement dit ; « Tu m’en avais
trouvé un, de cabinet de consultation, toi ? Bon, alors qu’as-tu à
dire ? » Financièrement, je ne recevais de lui aucune aide, étant
donné qu’il n’était plus dans la marine. Il avait trop mauvaise santé et il
dépendait de sa mère. Et ils avaient beau être très riches – il ne restait
plus que la mère à ce moment-là – pas un soldo ne venait m’apporter
un peu d’aide de leur part. Plus tard, la sœur de Tutino ouvrit une pensione à Positano. Et un peu après encore, un oncle lui prêta de l’argent avec lequel
il s’acheta un bout de terre à Capri, et s’y fit construire une maison. Si c’est
vrai : il m’a aidé à rénover et à réparer ma bicoque en ruine, mais c’est
moi qui dus payer tous les ouvriers ; il aida seulement comme ingénieur, pour
les plans et les ordres à donner – comment faire, comment mettre la
dernière main et le reste.
    Les ouvriers prirent un an et demi ou deux pour terminer les
aménagements. Et après, la maison enfin achevée, Tutino continua à se partager
moitié moitié, entre Positano et Anacapri. C’est fou le travail que j’avais
alors à Capri, le nombre d’appels en raison du cabinet, et les malades, tous
les malades qui ont commencé à venir me trouver. Oui, ce fut une période de
travail sans relâche.
PATIENTS ÉMINENTS
ET PAUVRES GENS
    C’est aussi l’époque où les Harold Trower vivaient là. Trower,
celui qui a écrit plusieurs livres sur Capri, vous savez ? Il était agent
consulaire de Grande-Bretagne, comme on dit, et il écrivait déjà des choses sur
Capri bien avant l’arrivée de Norman Douglas. Il avait une magnifique villa à
Cesino sur Capri, et il a été mon patient et je l’ai guéri. Il ne faisait pas
du tout l’admiration de Norman Douglas ni de Compton Mackenzie, qui ont vécu là
une partie du temps.
    Les hommes comme lui représentaient mes patients éminents, mais
les gens pauvres étaient de beaucoup, oui, de beaucoup les plus nombreux. Une
fois, je me rappelle, on m’a demandée au phare. Garder le phare, c’est le
travail de trois familles, régulièrement, et deux des hommes étaient tombés
malades. En principe, c’était au médecin de la commune de prendre en main la
situation, mais le hasard voulait qu’il soit absent, c’est donc moi qu’on est
venu chercher. Je m’y suis rendue et j’ai guéri les deux malades – infection
de la gorge, autant qu’il m’en souvienne – et je suis restée deux jours
sur

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