La dottoressa
lieutenant de marine, à force de ne jamais s’arrêter
d’étudier, étant ingénieur de profession.
Il resta donc à Rome, puis il partit pour Positano, chez sa
mère. Quand je me suis installée à Anacapri, il a commencé par traverser pour
me rendre visite, comme autrefois, puis il a fini par revenir vivre avec moi, comme
s’il ne s’était rien passé. Pourtant, au fond de moi-même, j’étais sûre de n’avoir
pas envie de l’épouser, ce qui faisait que, de lui non plus, je ne voulais pas
de cadeau… Et entre ces gens de Suisse, qui ne m’envoyaient plus un sou, et moi
qui ne voulais rien accepter de Tutino, j’ai bien été forcée de me mettre à mon
métier. Ce que j’ai donc fait, et ça a marché comme une horloge : tout de
suite j’ai eu des clients. Au bout d’un mois et demi, j’ai résilié le bail de l’appartement
de Rome… Quant au lit géant et aux quelques bricoles que nous y avions, je me
les suis fait expédier, et nous avons habité chez Teresina Cataneo, à Anacapri.
C’est à cette même époque que se situe l’agression des hommes
d’Anacapri, dont j’ai déjà parlé. Le lendemain matin, je suis allée à la police
pour demander si on pouvait me protéger ou si je devais m’adresser à mon
consulat. De toute façon, j’entendais bien ne pas être attaquée de nouveau, surtout
de façon si meurtrière. Le maresciallo se fit amener mes agresseurs, et
naturellement ils arrivèrent tous avec de merveilleux alibis, solidement
étudiés et établissant où ils se trouvaient ce soir-là en particulier, de sorte
que… impossible de dire si c’était eux, ni même de les soupçonner.
Là-dessus, le maresciallo a dit : « Non ! » –
mais si dans les tout prochains jours, oui, si jamais par hasard il m’arrivait
la plus petite chose, il les foutrait en prison. Il les a avertis, oui, et moi
aussi il m’a prévenue : « Vous voyez bien que toute la famille de ces
gens est folle de rage, à présent. Ils ont perdu leur enfant, et ces commérages
à tort et à travers font que la famille est déshonorée, puisque c’était la
tuberculose. » Et non seulement les autres avaient menti, mais ils avaient
aussi fourni de faux témoignages ; Dieu seul savait maintenant où ils
avaient été cette nuit-là, de sorte que le maresciallo se trouvait dans
l’incapacité d’engager des poursuites pour le moment.
Il y avait là, entre autres, la femme d’un de ces hommes qui
me hurlait à la figure que c’était moi qui mentais, que je n’étais qu’une strega, une Allemande ; et comme j’étais absolument sans complexe – oh !
je sais à quel point ça peut jouer de mauvais tours ! – je l’ai
giflée, oui, sous les yeux mêmes de la police, chose que je n’aurais jamais dû
faire. Sur quoi elle a déclaré que, très bien, elle m’attaquerait devant les
tribunaux pour tous ces faits et gestes.
Alors le maresciallo, qui voyait bien que je m’étais
mise dans mon tort parce que je voulais empêcher cette femme de mentir, et qui
voyait aussi que j’étais sortie de mes gonds, a dit : « Savez-vous ce
que vous devriez faire, exaspérés comme ils sont actuellement ?… Pourquoi
ne pas aller passer deux, trois jours ou une semaine à Sorrente, jusqu’à ce que
toute l’excitation soit tombée, parce que je suis convaincu que vous avez fait
énormément de bien ici, que dans l’ensemble les gens sont de votre côté et que
tout cela n’est que momentané. » Et c’est ce que j’ai fait.
À mon retour de Sorrente, j’ai trouvé la maison pleine de
fleurs et de corbeilles de fruits. Les gens sont tous venus me dire qu’ils voulaient
de moi et que je ne devais pas partir ; ç’avait été catastrophe sur
catastrophe pendant mon séjour à Sorrente ; ils sont même allés jusqu’à forcer
la femme à venir me demander pardon et à promettre qu’elle ne me poursuivrait
pas en justice. De mon côté, je lui ai acheté du tissu, de quoi se faire une
belle robe, et tout s’est terminé pour le mieux.
J’ai donc continué à exercer, avec de plus en plus de
patients. Je travaillais extrêmement dur, pour ne pas gagner grand-chose ;
ceux que je savais peu fortunés, je refusais de les laisser payer. Peut-être m’aimaient-ils
vaguement, à leur façon, car ils voyaient bien que j’étais du côté des pauvres.
LES CERIO
Edwin Cerio, qui avait été dans le temps maire de Capri, appartenait
à la famille la plus estimée de l’île. Il avait
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