La dottoressa
Suisse et que je me suis retrouvée
seule avec Andréa, je téléphonais au petit à Anacapri, le soir après les
visites, et je lui disais : « Fais-nous du porridge, fais ci, fais ça. »
Tout Capri était au courant, car c’était un téléphone public, dans une
pâtisserie. Je n’avais plus de servante, ce qui faisait que je lui téléphonais
là-haut : « Bon, mets ça à cuire, prépare ça. » Il courait
décrocher l’appareil et il prenait aussi les messages de la part des malades ;
quand quelqu’un appelait – il était encore tout gamin – il répondait :
« Pour le moment, Maman est à la Marina Piccola, pour l’instant elle est à
la Marina Grande, et si vous voulez la joindre », ainsi de suite, et à mon
retour il me racontait qu’un tel ou une telle avait téléphoné.
Mais il n’était pas gamin pour rien ; d’habitude il
était dehors, devant la maison, à jouer à la balle et à galoper avec les autres
garçons, et il devait rentrer en courant quand ça téléphonait. Mais il s’acquittait
de tout et il était parfait pour transmettre les messages. Il n’oubliait jamais,
c’est pourquoi tout le monde l’aimait bien ; et puis vous savez comme on
est commère à Capri : d’où que je téléphone on informait tout de suite Edwin
Cerio, avec le résultat qu’une fois il a dressé toute une liste de ce que j’avais
dit à Andréa de faire, de ce qu’il devait mettre sur le feu pour notre repas –
oui, il a calligraphié un menu complet, c’était superbe, pour ainsi dire peint,
céréales en tête, avec, pour suivre, des noms absurdes qu’il avait inventés
pour rire, comme Polio Spiatore (poulet à l’espion), Carne alla Zuffa
Sanguinosa (viande rouge cœur de bataille) – tout un menu, y compris
des vins qui ne voulaient rien dire, pour accompagner chaque plat. C’était un
satiriste. Mais vous avez certainement dû lire ses livres.
Avec tout ça, la vérité est qu’il ne restait pas beaucoup de
temps pour Desiderio, ni pour le maître d’école.
Après, j’ai rencontré un Hollandais qui vivait à la Punta
Tragara, dans une très belle villa, et que j’avais soigné en même temps qu’un
de ses amis. L’ami en question c’était Fred Brachet, un homosexuel qui avait
été très malade. Il n’était pas content de son médecin de Capri, parce que sa
santé ne semblait guère s’améliorer, je crois qu’il avait une jaunisse, et ce
Hollandais que je connaissais lui a donc dit : « Qu’attends-tu pour
appeler la Dottoressa ? » Brachet ne voulait pas, parce qu’il était
homosexuel ; mais à la fin il m’a fait venir et il s’est pris d’un gros
faible pour moi, mais oui. Nos rapports n’avaient rien de sexuel, puisque après
tout il était versé de l’autre côté. Mais il était gentil et bon, et il m’a
recommandée à ses petits amis des alentours, tous ceux qui étaient là, si bien
que je devins une vraie coqueluche et que ces gens ont pris l’habitude de m’inviter
aux petits dîners variés qu’ils se donnaient entre eux, et moi je soignais
leurs petits amis ; quand l’un d’eux avait quelque chose qui n’allait pas,
c’était évidemment moi qu’on appelait, et ils n’avaient pas du tout honte, non,
absolument pas. Mais le plus beau c’était que lorsqu’un d’eux embrassait son
ami, il venait ensuite m’embrasser moi, puis il repartait embrasser son autre
petit ami. C’était bizarre, mais quoi de plus naturel ? Quant au
Hollandais, lui, il n’en était pas ; c’était un homme très sérieux, quelqu’un
de très raffiné, de très instruit, et il avait des amies femmes, et pas peu. Il
allait chez certaines, et d’autres venaient chez lui. C’était une grande
demeure, où il y avait toujours du monde ; un vrai pigeonnier. Je crois qu’avec
la plupart d’entre elles il entretenait une amitié platonique, comme avec moi. Je
ne suis pas loin de croire que c’était assez comme s’il avait voulu s’entourer
de femmes tout en fréquentant les cercles d’homosexuels ; il avait beau
venir aussi des jeunes hommes, il y avait également des invitées féminines… Il
avait été professeur à Utrecht, il avait eu là une chaire d’université. C’était
une amitié magnifique.
Il y a même eu une fois – mais bien plus tard, après la
guerre – où j’ai arrangé ce qu’on pourrait appeler un petit mariage. Se
trouvait là un Anglais que j’avais rencontré dans la maison d’une
Weitere Kostenlose Bücher