La dottoressa
place. Seulement, personne ne savait que j’avais dû descendre au phare, ce
qui a fait qu’on m’a cherchée de tous côtés, dans tout Capri, et qu’à la fin on
a découvert que je n’avais pas bougé de là-bas ; alors, naturellement, on
imagine les interprétations !… Les épouses n’étaient pas là, vous
comprenez, et j’étais restée seule avec trois hommes, dont un, bien sûr, qui n’était
pas plus malade que vous et moi et qui avait donc tous ses moyens, Dieu le
bénisse ! Vous pensez si tous ceux qui me connaissaient m’ont taquinée ;
ils disaient que j’avais disparu sans laisser de trace et que j’étais allée me
cacher dans le phare. Oui, les taquins ! Ils étaient sans pitié.
Vous savez la sorte de gens que c’est, les Capriotes ? Attendez
que je vous donne un exemple… Quand j’ai commencé à exercer à Capri, il y avait
à la Marina Grande un prêtre, don Salvator, qui faisait l’infirmier auprès des
malades. C’était sa passion de soigner les gens, de les secourir, et quand je
prescrivais des piqûres c’était lui qui les faisait. Il dispensait comme ça
toutes sortes de soins aux malades, ce qui a fait que, lorsque les gens s’en
sont pris à moi et que j’ai dû disparaître pour un temps à Sorrente, une partie
des médecins s’est mise contre lui, et un jour, à la Marina Grande, à l’endroit
où ça monte vers le Métropole, ils l’ont empoigné et jeté dans le vide.
Il n’en mourut pas et on fit silence sur l’affaire, bien que
lui aussi il ait su qui étaient les auteurs du coup ; et les brigands sont
passés à travers… C’étaient des créatures diaboliques – il n’y a pas d’autre
mot. Moi qui avais aidé et soigné tout le monde à Anacapri, ils m’ont attaquée,
sauf qu’ils ne m’ont pas eue. Ce que j’en dis, c’est uniquement pour montrer à
quoi ressemblaient les gens, alors. Ils ne sont plus comme ça aujourd’hui, plus
aussi sauvages.
Tenez, encore un détail qui vous fera voir comment ils
étaient en ce temps-là. Une fois, j’ai sauvé mon confrère, sauvé la vie du
docteur Procillo, parce que nous nous trouvions ensemble au chevet d’un malade
atteint de la diphtérie, un enfant, et Procillo, qui était le médecin traitant,
m’avait demandé de bien vouloir l’assister. Il voulait pratiquer une laryngo… un
tubage, quoi : on introduit un tuyau de caoutchouc dans le larynx, pour
permettre à l’enfant de respirer. La couenne diphtérique recouvrait entièrement
le larynx, et l’enfant est mort avant la fin de l’incision – le cœur a
lâché brusquement. Alors le paysan en question, le père du petit, a sorti un
couteau et sauté sur mon confrère, et moi d’un bond je me suis jetée dans la
mêlée et me suis pendue de toutes mes forces au poignet de la main qui tenait
le couteau, pour donner le temps au docteur Procillo de filer par la porte. Le
père n’avait pas tiré le couteau contre moi, étant donné que le médecin
traitant et responsable c’était l’autre, et dans sa colère il entrait du
désespoir. J’ai essayé de le toucher en lui parlant gentiment, et en cela j’ai
réussi partiellement à le calmer un peu. Jusqu’à sa mort, mon collègue n’a
jamais oublié que je lui avais sauvé la vie.
Comme je disais, donc, j’avais énormément à faire et je ne
pouvais guère être à la maison ; alors, pour les enfants, je prenais une
jeune fille, tantôt l’une tantôt l’autre. Vous savez ce qu’il en est de se
faire servir à Capri. C’étaient de vraies jeunesses, ces petites, quatorze, seize
ans. Elles venaient aider au ménage. Elles étaient encore à moitié enfants
elles-mêmes ; on les avait un jour, et le lendemain néant, sans compter qu’elles
étaient voleuses et qu’on devait les renvoyer. Et le soir il n’y avait jamais
personne, parce qu’elles devaient rentrer chez leurs parents à la nuit, elles n’avaient
la permission d’aider que pendant la journée.
Bon, mais le fait est qu’Edwin Cerio aimait bien ma petite
Giulietta et que mes amis m’ont démontré que je poussais un peu trop loin la
naïveté, qu’on ne savait jamais ce qui pouvait arriver à l’enfant – elle
avait maintenant treize ans... D’abord j’ai pensé : « Bon, encore un
symptôme de la méchanceté indigène ! » – elle prolifère comme un
virus sur l’île. Je n’en ai pas cru un mot. Ces mêmes amis me disaient :
« Vraiment, à votre place… » À l’époque, je
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