La dottoressa
personne de
l’hôtel et je me suis débrouillée en conséquence. J’ai emporté l’enfant dans ma
grande sacoche et je l’ai enseveli sous mon oranger. Il y repose encore à ce
jour, sans que personne ait jamais rien découvert. Elle était si jeune que je n’ai
songé qu’à elle ; et c’était une Allemande par-dessus le marché. Elle
avait beaucoup de cran. Deux jours après, elle était déjà debout, à servir dans
la salle à manger. Entretemps j’avais enterré l’enfant et personne n’a rien su,
tout le monde était persuadé qu’elle avait eu un dérangement intestinal.
Je crois que j’ai eu raison de faire ça pour elle. Quand on
pense à la police, aux enquêtes, à la prison de Naples… C’était déjà assez dur
pour elle d’avoir l’enfant, non ?
Comme médecin, j’aurais dû le déclarer. Mais j’étais en paix
avec Dieu et je n’avais pas de remords. Pour couronner le tout, enterrer ce
petit corps n’a pas été une mince affaire ; c’était l’été et la terre
était comme de la pierre. Je me vois encore avec ma grosse bêche. De l’extérieur
on n’a pas vue sur mon jardin, à cause du grand mur ; mais quelle suée !
Quand ce fut fini, j’étais faible et je tremblais comme de la gelée. Sitôt
après la fin de la saison, elle m’a versé ce qu’elle a pu, le peu d’argent qu’elle
avait honnêtement gagné… Oui, elle m’a donné cet argent ; et d’Allemagne, après
la guerre, une fois, elle m’a envoyé une carte postale.
À Capri, il faut se garder de tout dire aux autorités. Il
faut aussi savoir se taire et tenir ses secrets. Même pour la mort de Norman Douglas
je n’ai rien dit ; mais chaque chose en son temps. Pour le moment j’en
suis à mon petit jardin avec mon oranger, et à la grosse bêche. Par la suite j’ai
eu souvent à y enterrer des chats, là. Au temps où j’avais mon grand boxer, si
un chat se risquait dans le jardin, il l’envoyait valser en l’air et le tuait. Il
n’était pas populaire dans le village. Les gens avaient peur de lui, et s’ils
avaient su ce qu’il advenait de leurs chats, ils seraient allés trouver les carabinieri ;
mais c’était mon boxer qui avait raison, les chats n’avaient rien à faire dans
mon jardin, et je les enterrais donc là où j’avais enseveli l’enfant. Une fois,
c’était l’hiver, le sol était vraiment trop dur, et un chat quand ça meurt ça
pèse un poids du diable – Graham et moi nous avons pris mon sac, chacun
par une poignée, et nous sommes sortis de Caprile pour chercher où jeter le
cadavre ; Graham se plaignait sans arrêt parce que le chat pesait trop
lourd, et chaque fois que nous faisions halte pour nous débarrasser du fardeau,
une voiture débouchait sur la route avec ses phares. Jamais on n’avait vu pareille
circulation de nuit, à cet endroit.
Il y a une autre histoire qu’il faut que je raconte. Elle se
situe un dimanche où j’étais allée à Mesola. Mesola, c’est sur le chemin du
phare quand on descend d’Anacapri, ensuite on prend à droite vers la mer, avant
la tour d’Axel Munthe, et c’est ravissant par là en bas. Une Anglaise ou une
Américaine avait acheté l’endroit, et j’y ai été invitée. Par hasard le plus
grand de mes fils, Ludovico, se trouvait là en vacances – il était déjà
entré à l’université. Bien, donc nous étions descendus et nous venions de
rentrer tout contents à la maison, ce dimanche en question, quand soudain, téléphone,
vite, vite, il faut que je coure à l’hôtel Eden Paradiso. Et là je tombe sur
une jeune Allemande dans une mare de sang, plein la baignoire, qui me supplie
de faire tout mon possible ; elle va se vider de tout son sang si je ne la
secours pas.
Elle avait une déchirure du vagin, causée par un pénis trop
gros qui l’avait blessée, et cette déchirure saignait affreusement, la plaie
était très profonde. En pareil cas il faut recoudre. Seulement pour l’instant
je n’avais rien sous la main. Rien que de la gaze, que je m’étais dépêchée d’aller
chercher à la pharmacie et dont j’ai fait un tampon. Un gros tampon, oui, et en
même temps j’ai téléphoné à un de mes confrères de l’hôpital de Naples – comme
c’était dimanche il était venu à Capri – et il est arrivé et tous les deux
nous avons recousu la fille.
Ce genre de cas n’est pas aussi rare qu’on le pense. Pendant
la guerre il y en a eu un, pire, qui s’est présenté en Suisse, à
Weitere Kostenlose Bücher