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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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se
plaignait, il trouvait qu’il n’y avait pas assez à manger. Ensuite il tira les
cheveux de Catherine et caressa le baron von Schacht sous la table, avec ses
mains d’assassin. C’est dire que la mesure était comble. Après, nous avons
dansé la farandole sur la piazzetta. Puis Graham m’a fait tourner comme une
toupie, et pour le punir j’ai envoyé une grande claque, seulement c’est le
baron von Schacht qui l’a reçue. Vous parlez d’une soirée pour ce malheureux !
Oui, je l’ai giflé de toutes mes forces, et il n’avait rien fait. Je l’entends
encore crier, il était en colère : «  Das ist durchaus beschimpfend ! » C’est parfaitement offensant ! «  Aber warum ? » Mais
pourquoi ?… Je riais tellement qu’il a dû avoir une bien piètre impression
de la Dottoressa, ce soir-là.
    Je lui ai fait des excuses et expliqué que c’était Graham
qui m’avait tourné la tête, là-dessus il a ri à son tour et nous avons dansé
ensemble. Oh, très dignement. Je lui arrivais à peu près à la hauteur de l’estomac –
il y avait beau temps qu’il avait perdu sa ligne. Quelle nuit !
LE BARON VON SCHACHT
    Le baron vivait à Caprile, au-dessus d’un restaurant sur le
chemin qui va à la Migliera. Il était venu vivre à Capri après la guerre du
kaiser, en laissant sa femme en Allemagne. Quand les Américains débarquèrent à
Capri au cours de la Seconde Guerre mondiale, ils voulurent l’arrêter malgré
son grand âge, mais le maire le protégea. Il avait très peu d’argent, et l’odeur
des cuisines du restaurant qui montait vers ses fenêtres lui donnait
constamment faim. Beaucoup de gens l’invitaient à manger, et en remerciement il
allait cueillir des orchidées sauvages sur le Monte Solaro et les apportait en
cadeau à ceux qui avaient eu des bontés. Quand Graham était là pour le jour de
son anniversaire en octobre, on voyait toujours arriver, très tôt, un petit
garçon avec une grande jatte pleine de petites fleurs blanches pour lui. Après
la nourriture, pourrait-on dire, c’étaient les jeunes garçons qui causaient le
plus de plaisir au baron – de même qu’à Norman Douglas. C’était un grand
Prussien aux gros yeux bleus et au crâne rasé, ancien officier d’uhlans. Dans
la petite entrée de son appartement, il y avait une photographie de sa troupe, avec
le kaiser sur un cheval blanc qui la passait en revue, et chaque fois il
poussait un grand soupir en disant : « Ah ! c’était d’une paix !… »
Dans une énorme armoire il conservait son uniforme, son casque, sa cuirasse, ses
gants blancs, et pour l’anniversaire du kaiser il s’enfermait seul chez lui, il
endossait son uniforme, puis s’asseyait et restait là, immobile, étincelant et
crevant de faim au-dessus du restaurant. Graham s’est un peu inspiré de lui
pour le personnage de Hasselbacher, dans son roman Notre agent à La Havane.
    Après la guerre le baron reçut une pension d’Adenauer –
pas bien grosse, mais ce fut sa mort, car alors il voulut rendre leur
hospitalité à tous ceux qui lui avaient offert à manger dans les mauvais jours.
Total : il se mit à boire et à manger beaucoup trop et il s’en paya un peu
trop aussi dans un autre domaine, pour lequel il avait un faible, maintenant qu’il
pouvait faire de petits présents à de jeunes garçons. Un jour, après avoir
terriblement bu, il alla se baigner au Bagno di Tiberio, puis il regagna
Anacapri à pied, par le long escalier abrupt, et en pénétrant dans sa chambre
il eut une attaque et mourut sur le coup.
    Le lendemain eut lieu l’enterrement, qui valut à Graham une
fameuse dispute avec les carabinieri, parce qu’il tenait à placer sur le
cercueil, pour le cortège, le casque et les gants du baron, pour qu’on l’enterre
comme un soldat ; les carabinieri, eux, répondaient que, légalement,
on devait mettre l’appartement sous scellés, avec tout, absolument tout, ce qu’il
contenait, jusqu’à l’arrivée d’Allemagne de l’épouse, et ils ajoutaient que des
voleurs étaient bien capables d’escamoter le casque. Finalement, Graham les
persuada qu’il prenait tout sous son bonnet, et le cercueil surmonté du casque
défila en grande pompe dans la rue, sous les fenêtres de l’hôtel Eden Paradiso,
dont Farouk, l’ex-roi d’Égypte en exil, avait loué tout le dernier étage, et
Graham dit : « Il est là-haut, et il nous regarde passer avec cet
enterrement ; à quoi peut-il penser ? À

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