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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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comme ça, seul
avec la femme d’Anacapri qui lui tenait sa maison et une meute de teckels, dans
cette grande baraque blanche qu’il s’était fait bâtir sans jamais l’achever, faute
d’argent au bout du compte… On raconte qu’il avait fabriqué des chaussures dans
sa jeunesse et qu’il avait eu sa célébrité en Angleterre, le jour où un lord
avait divorcé d’avec la jeune danseuse qu’il avait épousée. Elle s’appelait
June, et pour commencer ce lord avait eu à choisir entre dix-neuf complices en
adultère. Finalement, il opta pour le jeune étranger Paanaker. Tony en était
encore tout fier, du temps qu’il n’était plus qu’un vieil homme vivant à
Anacapri, dans sa scélérate de maison qui détonnait complètement par rapport au
reste du village. Il préférait les femmes mûres. Il les invitait à déjeuner en
tête-à-tête et il leur servait des fèves à la cantharide, cuites au four. Il
avait une baignoire avec des parois en verre transparent, et il s’y baignait
tout nu en demandant à ces femmes de lui faire des choses. Pauvre Tony, quand
on pense à ce que ça avait dû être avec la jeune danseuse ! En outre il buvait
comme un trou. Il n’était pas heureux, mais, à en croire Graham, ses Martini
dry – il les préparait dans un grand broc en verre – étaient
excellents, bien que lui-même ne bût que du whisky.
    Un jour où je me trouvais là avec Graham justement, et l’ami
de Norman, Kenneth Macpherson, et aussi Islay Lyons, nous avions très envie de
nous en aller, mais impossible de trouver Tony. Il faisait très mouillé ce
jour-là, et Graham, en cherchant son manteau, a ouvert une des portes donnant
sur l’entrée, et là, dans une petite pièce, assis sur un rang de chaises, il y
avait cinq hommes tout vêtus de noir comme à l’église. Par la suite nous avons
eu la clé du mystère : c’étaient les créanciers hypothécaires.
    C’est un joli coup qu’il avait réussi là, Tony. Tout le
monde disait : « Jamais il ne fera de vieux os. Il se suicide
lentement à l’alcool. » Par-dessus le marché, il était cardiaque, avec une
tension qui grimpait comme un singe à la corde. En tout cas, les cinq nommes
acceptèrent d’assurer à Tony de quoi vivre dans sa maison, tenir le jardin en
état et payer ses caisses de whisky et de gin – moyennant quoi, à sa mort,
la grande baraque blanche et sa baignoire transparente leur reviendraient. Seulement
voilà : les années passèrent – plus de dix, si j’ai bonne mémoire –
et Tony était toujours en vie. Sa bonne femme d’Anacapri montait la garde, et
comme elle lui faisait la cuisine, donc, de ce côté, pas la moindre chance d’accélérer
son départ ad patres. Elle le guettait comme un faucon, il n’avait plus
le droit d’inviter les dames mûres à manger ses fèves. Les créanciers
hypothécaires avaient outrepassé leurs moyens, ce qui a fait qu’ils ont dû
recourir à une nouvelle génération de bailleurs de fonds, sans que ça empêche
Tony de continuer à boire à mort tout en restant en vie.
    Où est-il aujourd’hui ? Disparu, comme tant d’autres, comme
Compton Mackenzie et Kenneth Macpherson et Cecil Gray, comme l’assassin d’Anacapri
et le pauvre baron von Schacht – sauf que Tony, au moins, il a fallu plus
de vingt années d’argent de viager pour le tuer. Je suis triste quand je pense
à lui, à cette dureté qu’il avait, à ses mauvaises manières, à son manque de
cœur ; mais je suis tout de même bien contente pour lui, et rien qu’à l’idée
de ses créanciers, je ris, je ris…
L’ASSASSIN D’ANACAPRI
    L’assassin, c’était le coiffeur d’Anacapri. Il avait couché
avec une jeune Allemande sur le Monte Solaro, à la suite de quoi il étrangla sa
femme et la jeta au fond de la citerne de son jardin. Il écopa de quinze ans de
prison, dont il fit douze années, et puis il s’en revint se remarier à Anacapri.
    L’assassin était un ami de Graham Greene. Graham se faisait
toujours couper les cheveux par lui, parce que le coiffeur envoyait chercher un
verre de vin pour lui faire prendre patience pendant ce temps. Un soir, à
Caprile, Graham donna un diner au restaurant de la piazza, pour des amis. Il y
avait là moi et son amie Catherine, et le père Ivan, le prêtre russe, et
Aniello l’entrepreneur, et le baron von Schacht, et l’assassin. Comme il n’avait
pas l’habitude du whisky et qu’il avait déjà trop bu chez Graham, l’assassin

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