La dottoressa
s’occupaient de
sa maison. Et vogue vers la Suède, et c’est là qu’il est mort, au palais royal
de Stockholm.
De son fameux livre, il n’y a que la fin qui me plaise, la
séquence de rêve, la fantaisie qui n’est plus réalité. Mon attention a d’abord
été conquise, mais tout ça n’a absolument rien à voir avec Capri telle qu’elle est,
la vraie Capri. C’est une Capri de rêve, une Capri dans les nuages, sans rien
de commun avec cet amas de dangereuses crêtes calcaires à pic qu’est cette île.
N’empêche, quand Norman Douglas traitait Munthe de « faux jeton pontifiant »,
c’était injuste. Munthe était un solitaire, un original. Dans certains cas il
pouvait être terriblement cabotin ; là, peut-être, il trichait, mais
ensuite, d’ordinaire, il redevenait un homme simple, modeste, déprimé, tranquille,
presque silencieux… Norman n’avait de goût que pour le savoir – l’univers
de Munthe était un peu chimérique, et c’était tout ce que Norman méprisait. Il
n’éprouvait que dédain pour cette « vie future » à laquelle Munthe s’intéressait
tant et tant.
À l’époque on ne parlait pas tellement de la reine de Suède.
Ça laissait tout le monde indifférent ; en ce temps-là personne ne pensait
beaucoup à ce genre de choses. De fait, personne ne s’occupait des étrangers. Les
Capriotes les prenaient comme ils venaient, comme des gens d’une autre planète
et dont les habitants de l’île n’avaient guère que faire. Du moment qu’ils
avaient de l’argent, c’était ça l’important, mais pas pour les contadini.
LE COMTE FERSEN
C’était aussi l’époque où le comte Fersen vivait à Capri. Il
figure dans le livre de Compton Mackenzie, Flammes de vestale, et Roger
Peyrefitte en a écrit tout un autre, rien que sur lui, intitulé L’Exilé de
Capri. Dans le roman de Mackenzie on le trouve sous le nom de comte Marsac.
Sa villa était celle qu’on peut voir, perchée là-haut tout au bord de la
falaise de Capri, non loin de la Villa Jovis, le palais de Tibère ; comme
le palais, elle a son précipice qui tombe à pic jusqu’en bas. Là, parmi la
verdure d’un jardin, se dresse la maison ; le lieu est tout à fait sauvage,
et le jardin, à l’extrême pointe du roc, n’est plus qu’une jungle. Ce comte
Fersen – les Fersen c’est-une famille franco-suédoise, je crois – s’était
fait bâtir cet endroit et il y vivait avec son homme à tout faire, qui était
aussi son petit ami. C’était un homosexuel, oui. Naturellement, il y avait d’autres
serviteurs, c’était le grand luxe. Et Clavel, le bossu suisse, qui avait alors
une villa à Anacapri avec sa gouvernante Frieda, lui rendait souvent visite. Ensemble,
ils fumaient l’opium dans l’espèce de repaire oriental que Fersen avait fait
décorer et aménager tout exprès. Tantôt ils fumaient dans cette villa et tantôt
dans une autre, à Anacapri, et les petits amis venaient, ainsi que toutes
sortes d’autres gens. C’était un cercle à la fois très fermé et très large. Ce
qui n’empêchait pas Fersen d’être très conformiste quand il était dans le monde.
Donc le temps passait à ce genre d’existence pleine d’exotisme,
de luxe et d’illusion, jusqu’au jour où on a trouvé Fersen mort. Le majordome, son
ami, un Italien, n’a jamais tout dit, même pas à la famille qui vint de France,
pour l’enterrement. Personne n’a jamais véritablement découvert l’entière
vérité. Un beau matin, le voilà mort. La famille – une parenté
relativement éloignée – n’a pas posé de questions ; elle a fait le
silence et la villa est demeurée vide, à pourrir lentement. Qui ça
intéressait-il encore, cette magnifique mais inaccessible retraite.
Par un dimanche après-midi, longtemps après, une fois où je
passais devant, j’ai escaladé une haie et tout vu. Une partie du mobilier avait
disparu, le reste était encore à sa place, debout, et les arbres du jardin
étaient devenus une jungle. Quelle tristesse ! Un moment, il fut question
de transformer la villa en pensione ; ça n’a rien donné ; l’endroit
est bien trop perdu et trop difficile à atteindre. On peut y aller à pied si on
en a la force et si on n’est pas trop pressé, ou alors à dos d’âne. Aucune
route ne va jusque-là. De tout cet orientalisme rien n’est resté, qu’une petite
boîte de conserve d’opium, dont Fersen m’avait fait cadeau je me demande
pourquoi –
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