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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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tout le reste n’était que
peur et mort. Oui, quelle paix dans cette nuit d’été. Et pourtant, pas question
de traîner là. Pas une maison de Capri dont chaque pierre ne fût un œil aux
aguets. Là-dessus, pas le moindre doute possible. Les clefs qui ne demandaient
qu’à ouvrir la porte me brûlaient les doigts, et je savais que je ne pouvais
pas m’en servir. Alors j’ai continué à marcher, comme une touriste, en regardant
autour de moi.
    Mais il s’est fait tard pour une touriste, sans compter qu’à
l’époque c’était une espèce plutôt rare, presque tout le monde était à la
guerre ; alors, en repassant devant ma maison, je ne m’arrêtai même pas. Il
est facile de se cacher à Capri : c’est ce que j’ai fait. Le premier
bateau pour Naples levait l’ancre de bonne heure et s’arrêtait à Termini, Massa
Lubrense, Sorrente et Vicovaro. Le matin posait un problème : tout le
monde venait au port, tous gens que je connaissais ; j’ai tout de même
réussi à ne pas me faire voir, tellement j’étais emmitouflée. J’avais mon grand
foulard autour de la tête. Et je pense que personne n’aurait imaginé une
seconde que je puisse être là. Je suis passée inaperçue de tous. Sur le bateau,
j’ai fait semblant de dormir, avec mon foulard qui me recouvrait presque
entièrement le visage. J’ai vu des gens de connaissance, mais je les ai évités
en restant rencognée sur mon siège.
    Le même jour, j’étais de retour à Rome et auprès de la dame malade.
Elle se remettait de son amygdalite et elle a été bien contente quand je lui ai
rendu son passeport. Je me suis acheté un manteau de fourrure. C’était l’été, toutes
les fourrures étaient beaucoup moins chères. Ensuite, avec mon passeport aryen,
je suis repartie bien sagement pour la Suisse, où j’ai pris la première
suppléance venue. J’avais eu vraiment très peur, et quand j’ai raconté mon
aventure à mes enfants, en Suisse, tout juste s’ils ne m’ont pas battue :
« Mais pourquoi, pourquoi faire des choses pareilles ? » Tout s’était
très bien passé pour ma maison. Elle est restée fermée sept années durant, mais
quand j’y suis revenue après la guerre, tout était dans l’état où je l’avais
laissé. Il y avait même moins de poussière qu’on n’en retrouve maintenant après
une absence. Ça, je ne pouvais pas le deviner de la rue, mais j’avais vu ma
maison, et c’était l’important.
    Quelle aventure, quand j’y pense – la dame de Rome et
le faux passeport ! Il y en a eu aussi une autre, de moindre importance, avec
un Allemand que j’avais rencontré sur la plage à côté d’Ostie. Qu’on aille à
Ostie, oui, les Allemands le permettaient : c’est tout près de Rome. C’était
un gentil Allemand. Un fonctionnaire du consulat, je crois, et j’ai comme une
impression que, lorsque je suis partie pour Capri, il m’a accompagnée jusqu’à
Naples. Je ne m’en souviens plus exactement – c’est ça le drame, envolée
ma bonne mémoire ! Quand je vous dis que vieillir c’est l’enfer ! Ce
ne fut qu’un flirt de rien, mais vaut mieux ça que pas de flirt du tout. Vous
savez, Rome m’avait complètement tourné la tête. J’arrivais de ma Suisse, où on
ne plaisante pas, et de toutes mes suppléances, de toute ma petite existence
bien réglée, et, oui, à peine arrivée à Rome, l’affaire de deux ou trois jours,
j’étais complètement métamorphosée, j’achetais au marché noir. D’Amérique, les
Romains recevaient des paquets ; certains les revendaient. Ce qui a fait
que je me suis acheté des vêtements pour trois fois rien. Pour rien du tout
même. Et les restaurants ! C’était le genre de vie où on se sentait le
cœur beaucoup plus léger ; c’est ça qui m’a donné l’audace de descendre
jusqu’à Capri. Je ne réfléchissais pas aux conséquences ; et pourtant, quelle
histoire pour se procurer un permis, qu’il fallait ensuite exhiber constamment !
Les premiers jours, je devais tout le temps me présenter à la police romaine, pour
bien prouver que j’étais là.
    Après la guerre, j’ai parlé aux gens de Capri de ma visite. Pas
un ne m’a crue. N’empêche qu’ils ont bien dû s’y résigner, parce que j’ai
raconté des choses précises que j’avais vues et qui les ont forcés à admettre :
« Oui, oui, elle a raison. »
    « Eh bien, vous avez bonne mine ! Où aviez-vous
les yeux ? »
    Personne, Dieu merci, non, je

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