La dottoressa
nous étions vieux pour de bon.
Bien. Donc, j’étais de retour à Capri. Le premier jour j’ai
couché au Palazzo, avec Andréa et le chien, et le lendemain matin je suis
montée en voiture jusqu’à Anacapri, où j’ai rouvert ma maison. Cela faisait
sept années quelle était fermée, sept années que personne n’y avait pénétré, n’avait
ouvert les fenêtres, n’avait eu la clef. De la poussière, oh ! oui, il y
en avait, et pas mal, mais rien de comparable avec ce que j’imaginais pour une
maison… Les boiseries étaient encore bonnes, seulement la peinture s’écaillait
et les moustiquaires étaient pourries et, oui, la citerne avait comme des
défauts… mais enfin, dans l’ensemble… Et puis le jardin, quelle merveille !
Les gros rosiers grimpants que j’avais plantés avant la guerre, ils étaient
bien présents, mais tout seuls. Les arbres de Noël que j’avais mis en terre au
cours des six dernières années que nous avions passées là, avant la guerre, il
n’en restait plus trace – envolés, escamotés ! On s’était introduit
jusque-là. Tandis que les roses, de tout le voisinage on était venu en cueillir
à chaque occasion de fête, mais en se contentant de les couper, et dans l’état
où je les retrouvais, par ce beau mois de mai, cela me faisait une très jolie
roseraie – sans parler des orangers et des citronniers, magnifiques, tous,
oui.
Nous étions très heureux tous les deux, mon fils et moi. Andréa
venait de passer sa matura, c’est-à-dire qu’il avait dix-neuf ans. En
même temps, d’une façon, comment dire ?… il donnait l’impression d’avoir
dix-neuf ans pour toujours. Nos rapports étaient les meilleurs possibles, les
plus tendres du monde. Il n’aimait que moi. Pour Tutino il n’éprouvait rien. Mais
l’amour dont je parle débordait, tant il était riche, et Andréa y englobait
tous les êtres humains, la nature entière. Tutino était le seul être pour
lequel il n’eût pas d’amour. Là, c’était même de l’hostilité qu’il avait. C’est
que, voyez-vous, pendant la guerre Tutino avait épousé une très jeune fille, et
Andréa disait qu’il s’y était pris comme pour un coup en dessous. Au lieu d’expliquer
les faits tels quels, dans une lettre, il avait choisi la voie détournée. Et c’était
de la même façon que, moi-même, j’avais découvert le pot aux roses.
Tutino – je dois bien le reconnaître – avait
souvent des doutes, quant à savoir si c’était vraiment lui le père d’Andréa. Il
se disait qu’après tout savait-on jamais si Venacolocci, le confrère de Pise
qui m’avait aidée à passer les examens de fin d’études, ou Loggi, dont il était
aussi jaloux… ? Cela dit, il ignorait tout de l’officier aviateur ; et
quant à l’autre, celui qui avait été un moment mon associé à Capri, le serpent
venimeux, de toute façon il n’y avait jamais rien eu de ce côté-là. Mais Tutino
était jaloux, au cas où, voilà tout…
Qui, exactement, était le père d’Andréa ? Tutino, ça j’en
suis sûre. Pourtant il y avait un mystère. Mes enfants ont toujours dit qu’à s’en
tenir à la ressemblance, Andréa devait être le fils de Tutino. Le petit avait
la même bouche que lui. En même temps, pour d’autres traits du visage, il
faisait penser à Gigi. Andréa lui-même était un garçon mystérieux. De caractère,
il ne ressemblait pas du tout à mes autres enfants. C’était un véritable
Italien. D’un côté, très gai ; de l’autre, exactement le contraire. Un
mélange de quelqu’un de très heureux et qui, l’instant d’après, sans crier gare,
était très loin, comme un oiseau solitaire à la cime d’un arbre. Oui, une sorte
d’oiseau de passage. Rien de la lourdeur allemande, non – le sang plus
léger de l’italien, mais un penchant à la mélancolie et à la tristesse. Jeune
fille, j’étais aussi comme ça. Et depuis toujours : heureuse comme une
béatifiée, tout un temps, et le moment d’après, triste comme la mort. Oui, ç’a
été pareil toute ma vie. Tantôt remontée comme un ressort, et puis retombant
dans la tristesse.
Andréa parlait maintenant l’allemand. Au début, pendant la
guerre, à notre arrivée à Bâle, il était incapable de dire un mot dans cette
langue, et, au Gymnasium, il avait dû entrer d’abord dans une classe
au-dessous de son niveau, parce que en latin et autres matières il était bon, tandis
qu’en allemand, non, pas du
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