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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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l’hygiène
c’est bien plutôt de se promener librement, comme moi ; au moins je n’ai
jamais connu la peur d’être démasquée. L’étroitesse d’esprit, qu’est-ce qu’on
en a à faire ou à ne pas faire ? Croyez-moi, le genre de vie que j’ai mené,
c’est dingue, mais que souhaiter d’autre ?
RETOUR EN SECRET
    Pourtant, cette liberté qui était mon trésor, j’ai failli la
perdre complètement. J’avais une envie folle de revoir l’Italie. Les Allemands
s’y trouvaient encore. Les démarches semblaient prendre une éternité, et c’était
sans aucune assurance garantie, comprenez-vous. N’importe, j’ai fait la demande.
À l’époque, les nazis étaient toujours à Rome. Je devais fournir un certificat
attestant que j’étais de pure descendance aryenne. Tout un tas d’imbécillités
pour lesquelles il fallait passer par Vienne et l’Allemagne ; j’ai dû
fournir mon arbre généalogique au grand complet, avec les noms et positions de
tous mes antécédents connus. Enfin bref, Dieu merci, au bout du compte je l’ai eu,
mon fameux passeport aryen, et munie de ça je pouvais me rendre à Rome. Mais
uniquement à Rome. Pas à Capri.
    Ce qui a fait qu’entre deux suppléances, je suis allée à
Rome seule, en laissant Andréa derrière moi. De Rome, j’ai écrit à Virginiella,
ma domestique de Capri, de venir me rejoindre. Et elle est venue en m’apportant
ce dont j’avais besoin. Certains papiers et tout le nécessaire pour les
histoires d’impôts. Oui, elle m’a apporté tout ça à Rome, de sorte que j’ai pu
me débrouiller sans aucune difficulté ; mais ce n’était pas tout – il
y avait cette énorme envie qui me rongeait intérieurement, avec l’idée que
jamais peut-être je ne reverrais ma maison de Caprile… Toute ma vie j’ai été
une pessimiste, et Virginiella avait beau être venue à Rome, beau en avoir
apporté toutes les nouvelles souhaitables, ça ne suffisait pas. Je voulais à
tout prix revoir l’île, de mes propres yeux, et ne pas me contenter de
nouvelles pareilles à du poisson pas frais.
    À Rome, j’ai fait la connaissance d’une Américaine, et cette
femme, ayant attrapé une très mauvaise amygdalite, m’a fait appeler. Je suis
donc venue, et là, sur sa table de chevet, que vois-je ? Son passeport. D’un
seul coup, il me vient une idée. Je regarde dans le passeport, pour la photo, et
je me dis : « Bon, vas-y, demande-lui son passeport, risque le coup, grâce
à ça, tu devrais pouvoir descendre jusque là-bas. Rien ne t’empêche d’aller à
Capri. » Pour une Américaine c’était possible, son pays n’était pas encore
en guerre. Bref, j’ai pris le passeport. Mon Américaine avait tellement mal aux
amygdales qu’elle ne pouvait pas ouvrir la bouche. Et j’ai laissé mon passeport
suisse à Rome, chez les religieuses qui me logeaient.
    Ils étaient toute une bande de gens à descendre avec moi sur
Naples. Quant à savoir qui ils étaient… Il s’agissait d’une de ces excursions, vous
savez ? C’était en été, et le soir tombait quand nous avons dû prendre le
bateau pour Capri. J’avais une écharpe, un grand foulard autour de la tête, et
personne sur le port ne m’a reconnue. Car le danger était, je m’en doutais, que
n’importe quelle autorité pouvait fort bien me repérer. J’étais très connue et
il ne fallait pas qu’on me voie. Ce n’était pas faute de gentillesse, eh non !
mais tout de suite le bruit se serait répandu : « La Dottoressa est
là, elle est revenue ! » Et l’instant d’après seraient arrivés les
gens de la Questura, les carabinieri. La Dottoressa que la guerre
avait forcée à partir. Et plus un seul Suisse à Capri. Défense absolue d’y
venir – comment se fait-il qu’elle soit là ?
    Toujours est-il que je suis passée à travers et qu’à notre
arrivée à la Marina Grande j’ai aussitôt filé droit jusqu’à une salle d’attente
du funicolare. Il faisait déjà presque noir, mais tant qu’on y voyait
encore j’ai lu le journal ; puis, dans la nuit, je me suis glissée par les
sentiers vers Anacapri et ma maison. Impossible d’entrer. Je n’osais pas, pourtant
j’avais les clefs sur moi. J’ai tout de même vu ma maison, ma Casa Andréa. C’était
un grand bonheur ; puis sont venus les sentiments de tristesse. La guerre,
cette horreur, et la façon dont elle frappait comme un fléau. Ici, dans ma
maison, c’était toujours la paix, comme avant ;

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