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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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j’aimerais bien sauter dans cette eau. » Et l’un d’eux a répliqué :
« Oh ! vous, il y a longtemps qu’on le sait, que vous êtes folle ! »
    Et j’ai dit oui, qu’ils n’avaient pas tort et on était là à
se renvoyer des Cerlo et des Nessuno dubbio, et pendant ce temps
Andréa, lui, ne voulait pas de leur corde. Il chantait, ce pazzerello, et
le vent nous rabattait dans la figure ses chansons comme des gifles, tandis qu’il
volait sur l’aile des embruns.
    C’est la dernière fois que j’ai pu contempler mon Andréa en
pleine joie et en pleine santé. Quel magnifique souvenir ! Et si vous
aviez vu comme, sans aide, il a sauté droit sur la corniche de rocher, sain et
sauf et tout au bonheur de l’instant. Pourquoi, pourquoi a-t-il fallu que Dieu
me le prenne si brutalement ? Pardon si ces mots sortent malgré moi, mais
ce fut vraiment trop brutal ; rien ne justifiait un tel manque de pitié ;
mieux eût valu encore qu’il s’empale sur les rochers, et fini, oui, fini
pendant qu’il était là à rire et à chanter dans la noblesse du spectacle. Plutôt
ça, oui, que les souffrances atroces, la longue attente, l’opération ratée.
    Vous l’aurez, votre récit, oui, mais il faut d’abord que je
me lève ; je ne peux plus rester assise pour dire les choses. Laissez-moi,
laissez-moi. Je décrirai tout, absolument tout. Je vois tout clairement comme
sur un tableau, jusqu’au moindre détail, et certains de ces détails je peux les
dire comme ils viennent ; mais demeurer assise pour raconter ça, non, je
suis avec mes souvenirs et mes pensées, les nerfs tout engourdis comme alors.
    Il y a eu ce bond qu’il a fait hors de l’eau sur le rocher, et
mes amis du phare qui ont crié : « Bravo ! » et puis qui m’ont
encouragée quand j’ai grondé Andréa et que je lui ai dit : « Juste
Ciel, cretino, tu m’as fait plus peur que le Jugement dernier ! »
    Et il m’a répondu – écoutez bien ses paroles :
« Dommage que la mer ne m’ait pas gardé ! »
    Oui, voilà ce qu’il a dit : « Ça, c’était une mort
merveilleuse ! »
    Et moi j’ai répondu : « Mais Andréa, quelle idée, pourquoi
parler de mort ? C’est de vie qu’il faut parler. »
    Et lui : « C’est ce que tu crois. » Et rien
de plus, rien d’autre…
    Nous sommes rentrés à la maison, en grimpant dans le vent et
dans la lumière du soleil qui se couchait.
    Je me demandais ce qu’il y avait de changé, ce qui était
arrivé. Tout à coup il faisait froid et on sentait comme une, non, terreur n’est
pas le mot – pire : on se serait cru après la fin du monde. Et on
avait beau lutter contre ce sentiment, on en revenait toujours à ces paroles
effrayantes qu’il avait prononcées, en se demandant ce qu’il avait bien pu
vouloir dire tout au fond : « Dommage que la mer ne m’ait pas gardé… »
Lui qui aimait tant rire. Croyez-moi c’est à ce moment-là que j’ai connu la
peur, vraiment, profondément, comme une interrogation mystérieuse, terrible.
    Donc nous sommes remontés là-haut, à la maison ; au
bout d’un moment c’est redevenu bien. Il était heureux, les mouettes ne ricanaient
plus et le bruit de la mer était loin, perdu en bas. La peur aussi s’est
retirée de moi, comme le chien de garde qui se dit : « Bon, maintenant
je peux aller dormir dans mon coin. »
    Le lendemain 2 août, avant le déjeuner il me dit :
« J’ai rendez-vous avec une fille de Materita, je retourne en bas nager
avec la bande. » J’ai répondu : « Bon, mais sois prudent avec l’eau. »
Moi-même je ne suis pas descendue parce que j’avais du travail à la maison –
des choses que lui ne pouvait pas faire. Du raccommodage ou du ravaudage, est-ce
que je sais, à moins que ce ne soit une lessive. Et il est parti.
    Il est rentré vers le soir. J’étais déjà à préparer les
macaronis, il est venu m’allumer le feu de braises. D’ordinaire il riait et
plaisantait, mais ce soir-là il se taisait – il était d’un calme inhabituel.
Puis il a dit : « J’ai une soif affreuse, il faut absolument que je
boive quelque chose ! » Et il s’est versé de l’eau qu’il a bue ;
après quoi ç’a été mieux.
    Bientôt le plat de macaroni a été prêt, je l’ai apporté sur
la table et il s’est assis ; mais il avait à peine avalé deux bouchées qu’il
s’est mis tout à coup à crier : « Mami ! Mami ! J’ai mal !
J’ai atrocement

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