La Fausta
venait de recevoir la visite de Belgodère et qui à ce moment même achevait une lettre. Claudine de Beauvilliers écouta attentivement le récit de Mariange, la félicita de sa vigilance et murmura :
— Au fait, voilà une messagère toute trouvée… Sûre et fidèle !…
Alors, à la lettre qu’elle venait d’écrire, elle ajouta un long post-scriptum. Puis ayant plié et cacheté sa missive, elle se tourna vers Mariange et dit :
— C’est un grand service que vous venez de nous rendre, ma sœur. Il faut que vous en soyez récompensée.
Mariange baissa les yeux, c’est-à-dire qu’elle rabattit sur la flamme de cupidité de ses petites prunelles noires le rideau clignotant de ses paupières aux bords rouges et sans cils.
— Prenez donc cette lettre, continua l’abbesse ; celle à qui vous allez la porter vous récompensera mieux que je ne pourrais le faire ; car je ne vous apprends rien, ma sœur, en vous disant que je suis bien pauvre, hélas ! Votre récompense consistera donc à devenir aujourd’hui ma messagère… Seulement prenez garde que si vous perdiez cette missive ou si quelqu’un vous l’enlevait, ce serait un grand malheur pour moi, donc pour l’abbaye, donc pour vous-même.
Mariange prit la lettre, la cacha dans son sein et dit :
— Ici on ne viendra pas la prendre !
— En effet ! murmura Claudine avec un sourire.
Et elle se hâta de donner à Mariange les instructions nécessaires pour que la lettre pût parvenir à destination. Sœur Mariange se mit en route aussitôt et, entrant dans Paris, se dirigea par les chemins que l’abbesse lui avait expressément désignés. Nous avons dit qu’elle ne savait pas lire. Mais si elle avait été lettrée au point de pouvoir épeler la suscription de la lettre, voici ce qu’elle aurait lu :
— A Madame la princesse Fausta, en son palais.
q
Chapitre 28 CONSEIL DE GUERRE
C ependant, comme Mariange l’avait ou ne l’avait pas remarqué, Paris s’agitait, et cette agitation demeurée sourde les jours précédents, menaçait d’éclater. Voici ce qui se passait :
La noblesse, étonnée de l’inertie de Guise, commençait à prendre peur. De sinistres rumeurs circulaient de bouche en bouche. On se répétait sous le manteau que le chef suprême de la Ligue trahissait. La journée des Barricades, assuraient les plus audacieux, n’avait été qu’un jeu pour effrayer Henri III : jeu terrible, où beaucoup de gentilshommes risquaient leurs têtes !… Henri de Guise ayant ainsi démontré sa puissance à Valois, songeait à le ramener dans Paris, sûr alors d’obtenir quelque chose comme une vice-royauté qui lui assurerait les brillants avantages du pouvoir exercé sous le nom d’un autre. Voilà quels bruits couraient parmi les plus compromis de la noblesse. Il était trop évident que si la paix se faisait entre les deux Henri, elle se ferait à leurs dépens.
Les bourgeois, de leur côté, recommençaient les patrouilles armées et faisaient entendre ces murmures précurseurs de l’émeute. L’affaire du moulin de la butte Saint-Roch avait, par surcroît, envenimé les esprits. Les Parisiens, en effet, étaient persuadés qu’une troupe nombreuse de parpaillots était cachée dans le moulin et étudiait la possibilité de surprendre la ville ; on disait que le roi de Navarre s’approchait avec une armée. Or, le moulin ayant été pris d’assaut, on n’avait trouvé personne : qu’étaient devenus les huguenots, cette troupe cachée qui était comme une avant-garde du Béarnais ? Ils avaient fui… Mais comment ?…
A coup sûr les bourgeois, plus fanatiques de Guise que la noblesse, n’accusaient pas leur duc ; mais ils jugèrent prudent de veiller, c’est-à-dire qu’ils se répandirent dans les rues ce qui accrut l’agitation, en sorte que le lendemain même du jour où Charles d’Angoulême et Pardaillan s’étaient rendus à l’abbaye de Montmartre, le lendemain de ce jour où sœur Mariange fut chargée par Claudine de porter une lettre à Fausta, l’agitation était à son comble.
Ce jour-là, donc, vers quatre heures de l’après-midi, le duc de Guise était enfermé dans son cabinet avec Maurevert. Le duc se préoccupait fort peu de l’émotion des Parisiens ; il savait qu’il n’avait qu’à parler pour être acclamé, et à parler pour être cru comme le Messie. Du moins, jusqu’à ce moment, il ne s’était pas inquiété de ces rumeurs qui, passant par-dessus
Weitere Kostenlose Bücher