La Fausta
reconnaissez-vous ?
La folle fixa sur lui un regard étrangement scrutateur.
— Non, dit-elle. Mais peu importe qui vous êtes. Vous n’avez pas la voix ni le regard de cet homme qui était ici tout à l’heure. Et cette voix, si vous saviez… cette voix coulait sur mon cœur comme du plomb fondu… ces yeux noirs, voyez-vous… ah ! ajouta-t-elle tout à coup avec un rire navrant, voyez si je suis folle : ce regard et cette voix, j’ai cru que c’était la voix et le regard du damné… mais je sais que l’évêque est mort !…
— Madame, reprit Pardaillan avec la même douceur, voulez-vous venir avec moi ?…
Saïzuma, un instant le considéra avec une attention profonde.
— Je veux bien, dit-elle enfin. Je ne vois rien dans les lignes de votre visage qui m’inspire défiance ou épouvante…
— Venez donc…
Et Pardaillan, prenant la main de la bohémienne, la mit dans celle de Charles qui tressaillit douloureusement. Et il marcha en avant… Dehors, il retrouva Picouic, fidèle à son poste sur la brèche. Quant à Croasse, il avait disparu : nos lecteurs savent ce qu’il était devenu…
Ce fut à ce moment, nos lecteurs ne l’ont peut-être pas oublié, que sœur Mariange apparut sur la brèche. Elle regarda au loin et ne vit personne. Mais Mariange était obstinée. Elle croyait avoir trouvé une occasion de faire fortune et elle était décidée à ne pas la laisser échapper. Elle commença donc à descendre précipitamment les pentes de la colline, se dirigeant vers la Grange-Batelière. Et lorsqu’elle fut arrivée à deux cents pas des murs de Paris, elle eut la satisfaction d’apercevoir un groupe qui s’enfonçait sous la porte Montmartre ; dans ce groupe, elle reconnut aussitôt la bohémienne à son manteau bariolé et à sa démarche qu’il était difficile d’oublier quand une fois on l’avait vue.
Sœur Mariange, sans hésitation, se mit à courir de ses petites jambes courtaudes et s’engouffra à son tour sous la porte. Elle arriva à temps pour voir Saïzuma, toujours escortée de Pardaillan et de Charles, tourner à gauche. Alors, elle suivit à distance. La petite troupe, par des ruelles, parvint à cette grande artère du vieux Paris qui s’appelait la rue Saint-Denis. Il était d’autant plus facile à Mariange de suivre sans être remarquée que les rues étaient remplies d’une foule agitée, de bourgeois en armes et de gens qui criaient :
— Mort aux huguenots…
D’où venait cette agitation ? Mariange ne se le demanda pas. Elle continua à marcher sans perdre de vue le manteau de la bohémienne. Et enfin, elle vit Pardaillan et toute la petite troupe entrer dans une auberge qu’elle ne connaissait pas. D’autre part, comme elle ne savait pas lire, elle ne put déchiffrer la belle enseigne qui se balançait sur sa tringle en fer, laquelle s’avançait jusqu’au milieu de la rue presque. Alors, elle interrogea une femme qui passait et sut le nom de l’auberge.
— La
Devinière
… bon !… grommela-t-elle en enfonçant ce nom dans sa mémoire.
Sœur Mariange se mit alors à faire les cent pas, réfléchissant sur cette aventure. Devait-elle parler à ces étrangers comme elle en avait eu l’intention ?… C’était peut-être un moyen de gagner de l’argent, mais aussi de s’attirer la colère de l’abbesse. Elle songea à l’
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et frissonna. C’était une matoise que cette Mariange. Elle se demanda s’il n’y aurait pas un moyen d’éviter l’
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où on pourrissait lentement, où elle se rappelait parfaitement qu’une sœur était morte de faim et de terreur ; et en même temps, de ne pas renoncer au bénéfice qu’elle avait escompté.
— J’ai trouvé, fit-elle tout à coup. D’après tout ce que j’ai pu voir et entendre, l’abbesse a un gros intérêt à ne pas perdre de vue cette bohémienne du diable. Il est certain que le départ… la fuite de la bohémienne va donner de graves ennuis à M me de Beauvilliers. Alors, moi, j’arrive, je lui révèle la retraite de la bohémienne et de ceux qui l’ont enlevée et comme récompense, je demande dix écus d’or… au moins !
On voit que Mariange, dans son imagination, arrangeait les choses à sa façon, mais en somme, qu’elle touchait à la réalité en ce qui concerne Saïzuma. Ayant ainsi combiné son petit plan, elle reprit en toute hâte le chemin de l’abbaye et, y étant parvenue, se présenta aussitôt devant l’abbesse qui
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