La Fausta
regard de terreur sur Belgodère qui rôdait autour d’eux en grondant. Je chantais… pour acheter des fleurs à ma mère…
Le duc d’Angoulême frissonna. A cette minute, un grand silence solennel tomba sur la Grève. Les trompettes se taisaient. La multitude avait cessé ses clameurs ; Crillon et le duc de Guise échangeaient des paroles que chacun tâchait d’entendre…
Charles prit une main de Violetta qui, à ce contact, tressaillit… Il la conduisit à la roulotte, la fit monter et entra lui-même… Alors il aperçut le corps de la Simonne étendu sur sa couchette, et il s’inclina, la tête nue, tandis que Violetta s’agenouillait…
— Veillez votre mère, dit-il avec une expression d’immense pitié. Soyez l’ange qui se penche sur cette morte. Et quant à son cercueil, c’est moi qui le fleurirai, si vous daignez le permettre…
Violetta leva sur lui un regard éperdu de reconnaissance… Alors, troublé jusqu’au fond de l’âme, les yeux mouillés, le cœur palpitant, le jeune duc sortit et se dirigea droit vers un éventaire de fleurs devant lequel se tenait une bonne grosse commère. Sans rien dire, il jeta à la marchande stupéfaite un ducat d’or, et à pleins bras, il ramassa des fleurs, des gerbes de roses blanches et rouges, des brassées d’œillets aux senteurs pénétrantes, des jasmins délicats, des jonchées de lys et de giroflées… Et chargé de son fardeau parfumé, il rentra dans la roulotte, se mit à épandre les jasmins, les œillets, les roses autour du corps, sur le corps, qui bientôt disparut sous ce linceul fleuri…
Violetta, à genoux, les mains jointes, extasiée, douloureuse et ravie, regardait, croyant faire un beau rêve.
— Ce n’est ni le lieu ni l’heure de vous parler, dit alors Charles d’Angoulême. Mais dès maintenant, cessez de craindre quoi que ce soit… Il est impossible, ajouta-t-il avec une émotion croissante, que vous demeuriez avec ces bohémiens… Demain matin, je viendrai parler au maître de cette voiture…
— Qui est tout prêt à vous entendre, monseigneur, et à vous répondre ! dit près de Charles une voix ironique et rocailleuse.
Le jeune duc toisa le sacripant courbé en deux devant lui.
— Où pourrai-je te parler, mon maître ? demanda-t-il.
— Ici près, monseigneur : rue de la Tissanderie, à
l’Auberge de l’Espérance
, où je remise mon cheval, mon carrosse, mon léopard et mes gens.
— C’est bien. Attends-moi donc dès demain matin.
Charles d’Angoulême jeta un dernier regard sur Violetta prosternée, le visage dans les deux mains, puis sur la morte dont la pâle figure lui parut alors s’illuminer d’un sourire vague, pareil à quelque mystérieux remerciement.
— A la vengeance, maintenant ! murmura-t-il. O mon père, regarde ce que va faire ton fils !
Et il sortit, se dirigeant droit vers le duc de Guise !… Belgodère, debout sur le haut des marches, les bras croisés, ricanait :
— Viens demain, oui, je t’attendrai de pied ferme. Imbécile !… Demain ! Où sera demain Violetta ?
Il haussa les épaules et descendit en grognant :
— Il faut pourtant que j’aille prévenir qu’on me débarrasse du cadavre. Le plus tôt sera le mieux. Aujourd’hui même tu seras partie, la Simonne. Bon voyage !…
Et il allait s’élancer, lorsqu’au bas des marches il vit se dresser devant lui un homme vêtu de velours noir dont le visage livide semblait celui d’un mort qui vient de se lever du fond de la tombe. Et cet homme avait une de ces glaciales voix dont l’accent fait frissonner.
— C’est toi, demanda-t-il, qui es Belgodère, maître de cette voiture ?
« Voilà une infernale figure », songea le bohémien qui frémit malgré lui. Oui, mon gentilhomme, ajouta-t-il tout haut, je suis celui que vous dites. A votre service bien humblement.
La « figure infernale » se contracta sous l’effort de quelque suprême combat intérieur, comme la face de certains étangs noirs se moire parfois de rides mystérieuses venues de leur profondeur, sans qu’il y ait un souffle d’air.
— C’est donc toi, reprit-il lentement, qui es le maître de cette jeune chanteuse… Violetta ?
Belgodère tressaillit, se frappa le front, s’inclina plus profondément.
« J’y suis ! songea-t-il. C’est le gentilhomme que le duc de Guise devait m’envoyer pour me transmettre ses décisions ! Ah ! ah ! je te tiens enfin, Claude ! Tu vas savoir de mes nouvelles !
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