La Fausta
monsieur de Pardaillan, la vie est bonne, au bout du compte ! Je ne veux pas me faire égorger, moi !… Du moins, pas avant d’avoir dit ma façon de penser — tiens ! moi aussi, la langue me démange ! — à ce digne sire de Maurevert ! Et à quelques autres
ejusdem farinœ
… c’est du grec ; cela veut dire : de même farine… Allons, venez, mordieu !… Comment ! vous ne venez pas ?…
— Allez donc, Pardaillan ! murmura Charles, tandis que des larmes de rage perlaient à ses paupières. Allez ! Moi, je vais à Guise !
Le chevalier jeta sur le jeune homme un regard ou il y avait comme une tendresse de grand frère.
— Vous le voulez absolument ! dit-il en saisissant une main de Charles.
— Je hais Guise ! Jamais je n’ai eu dans la tête de tels éclairs de haine. Malheur à lui, puisque je le trouve sur mon chemin !
— Amour ! Amour ! Folie et misère ! grommela le chevalier. Tâchons de sauver ce jeune fou !
Et tout haut, il ajouta :
— Par mon père ! allons donc, puisque vous le voulez ! Mais, vrai Dieu, la conversation va être drôle ! Giboulée, ma bonne vieille rapière, à toi la parole !…
Pardaillan se haussa sur la pointe des pieds, embrassa d’un rapide regard circulaire la foule énorme qui les enveloppait, assura d’un coup de poing son chapeau sur le coin de l’oreille, et se mit en marche !…
A coups de coude, à coups d’épaule, il se fraya un passage, et lorsqu’un bourgeois voulait protester, à la vue de cette figure étincelante de railleuse audace, de cette longue et large rapière sur le pommeau de laquelle se posait une main souple et nerveuse, le bourgeois rengainait son compliment et se rangeait. En quelques instants, le chevalier et son jeune compagnon atteignirent le premier rang, et ils virent alors le duc de Guise, le roi de Paris, qui, hautain, livide, l’œil strié de rouge, se tenait devant Crillon et hurlait quelques mots qui se perdaient dans une furieuse acclamation de la foule…
La minute était tragique… Voici ce qui venait de se passer : Crillon — celui-là même que Charles IX, au siège de Saint-Jean-d’Angély [6] avait surnommé le Brave — Crillon, brave et fidèle jusqu’à la mort, venait d’apprendre qu’Henri III avait fui de Paris. Et il était sorti de l’Hôtel de Ville où il était renfermé avec mille gardes et deux mille suisses, pour rejoindre son roi ! Il commandait les gardes ; les suisses étaient sous les ordres d’un colonel dont le nom nous échappe ; mais lorsque toute cette troupe, composée surtout de blessés, d’éclopés, bandés, boîteux, sanglants, s’était formée en colonne et avait débouché sur la Grève, Crillon s’était placé en tête et avait crié :
— Gardes françaises et suisses, en avant !…
Il y eut alors de vastes remous dans l’océan populaire ; un sourd grondement monta de ses profondeurs ; puis les hurlements, les vociférations, les cris de morts se croisèrent, cinglèrent, battirent l’air, mêlés à d’effroyables insultes, à des gémissements de femmes, à des cliquetis de hallebardes. Et puis, soudain, un silence lourd, un silence de plomb…
Guise venait d’accourir ! D’un signe, il enchaînait la foule idolâtre et la muselait. Et alors le duc s’avançait au-devant de Crillon. Le vieux capitaine, trapu, la moustache grise, la cuirasse bosselée, le visage sanglant, arrêta sa troupe, et d’un geste rude salua le duc.
— Je vois avec plaisir, dit Guise sur un ton mordant, que Louis de Crillon ramène ses gardes à Sa Majesté…
— Vous avez vu juste, monsieur le duc, riposta Crillon d’une voix de bataille.
— C’est donc au Louvre que vous vous rendez ?
Crillon éclata de rire :
— Cette fois vous faites erreur ! C’est au roi que je me rends !
— Prenez garde, capitaine ! gronda le Balafré, vous avez déjà commis une folle imprudence en sortant de l’Hôtel de Ville !
— Et vous voudriez m’en faire commettre une autre en m’y faisant rentrer ! Le roi est hors de Paris, monsieur le duc : je sortirai de Paris !
— On vous a trompé ! Le roi…
— Un mot ! un seul ! interrompit violemment Crillon : le chemin est-il libre ?
— Il l’est pour tous les vrais fidèles, éclata Guise. Et le roi…
— Vive le roi, monsieur ! hurla Crillon. Prenez garde vous-même, monseigneur ! Prenez garde à la forfaiture ! Nous avons tous deux l’ordre du Saint-Esprit ; en le
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