La Fausta
Je ne sais. Il y a une voix qui parle et que j’écoute. Que dit la voix ?
Elle pencha la tête comme pour écouter en effet. L’assemblée de sac et de corde haletait. Les ribaudes tremblaient et les truands frémissaient.
— C’est le soir, dit lentement la bohémienne. Tout est paisible dans le somptueux hôtel et par la grande fenêtre large ouverte apparaît la cathédrale que contemple la jeune fille… L’insensée ! C’est là, dans cette église, que le malheur devait se consommer. Pourquoi la jeune fille regardait-elle la face muette et menaçante de la cathédrale ?… La voici qui sourit doucement… Comme elle est heureuse !… Près d’elle, celui qu’elle aime est assis, et il lui tient les deux mains, et elle écoute, dans le ravissement de son âme, ce que lui dit le noble seigneur… Et cependant, au fond du somptueux hôtel, le vieux père aveugle se repose…
Saïzuma s’arrêta court. Ses yeux, à travers les trous du masque rouge, regardaient au loin, on ne savait quoi…
— Le vieux père aveugle se repose, reprit-elle en hochant la tête : confiant dans sa fille, il dort… Du moins, elle le croit. Et son amant le croit aussi. Et ils sont l’un près de l’autre, et leurs lèvres se rapprochent, et elles vont s’unir dans un baiser lorsque la porte s’ouvre…
— Malheur !… gronda une ribaude toute pâle.
— Qui a ouvert la porte ?… C’est le père… le vieux père aveugle qui s’avance, les mains étendues et appelle sa fille… L’amant s’est redressé… la fille tremble de terreur… « Ma fille, mon enfant… avec qui parlais-tu ?… — Avec personne, père !… Non, bien certainement, il n’y a personne dans la chambre de votre enfant… » Et l’amant ?… Ah ! comme il est adroit, silencieux et furtif !… Il s’est reculé jusqu’au fond de la chambre, et il ne semble même plus respirer… La jeune fille n’a même pas la force de se lever pour aller au-devant de l’aveugle… C’est lui qui vient à elle à pas tremblants, et enfin, il saisit ses mains… « Comme tes mains sont glacées, mon enfant ! — Père, c’est le soir… c’est le vent… c’est l’ombre qui tombe de cette cathédrale… — Comme ta voix tremble ! — Père, c’est la surprise, l’émotion de vous voir tout à coup… » Et les yeux de la jeune fille mourante d’effroi se portent sur l’amant immobile. Elle cherche un autre mensonge, toujours des mensonges.
— Pauvre demoiselle ! dit la ribaude qui s’appelait Loïson.
Saïzuma n’entendit pas. Et elle continua sa triste cantilène, car vraiment elle racontait comme elle eût chanté…
— Le front du père se voile : l’aveugle tourne autour de lui son regard mort, comme s’il espérait voir… Voir ! oh ! s’il avait vu !… « Ma fille, mon enfant, es-tu bien sûre qu’il n’y a personne ici ?… — Sûre, mon père ! oh ! tout à fait sûre !… — Jure-le, mon enfant !… Jure-le, sur mes cheveux blancs… jure-le sur la sainte Bible, et alors, je croirai seulement que tu étais seule… Car je sais que tu as l’âme haute et pure, et tu ne voudrais pas te charger d’un tel parjure !… » La jeune fille se débat… Il lui semble qu’elle va mourir… Jurer ! Jurer cela ! sur les cheveux blancs de l’aveugle !… Son regard va chercher le regard de l’amant, et le regard de l’amant répond : Jure, mais jure donc !… « Eh bien, ma fille ? » La voix du père, la voix de l’aveugle contient une affreuse angoisse. Et alors, sous le regard de l’amant, la jeune fille dit : « Mon père, sur vos cheveux blancs, sur la sainte Bible, je jure qu’il n’y a personne ici que nous deux… » Et le pauvre père sourit. Et il demande pardon à sa fille. Et elle, oh ! elle, la parjure, sent que le malheur, désormais, va la saisir et l’emporter aux abîmes…
— Pauvre fille ! répéta Loïson.
Saïzuma se tut.
— Encore ! demanda une autre ribaude. Qu’arriva-t-il ensuite ?…
Mais peut-être y avait-il eu une brusque saute de direction dans l’esprit de Saïzuma. D’une voix changée, emphatique et théâtrale, elle s’écria :
— A force de regarder en moi-même au fond du cachot j’ai appris à regarder dans l’âme des autres. Seigneurs et hautes dames, la bohémienne sait tout, voit tout, et l’avenir pour elle n’a pas de voiles. Qui veut connaître son avenir ? Qui veut la bonne aventure dite par l’illustre
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