La Fausta
truand et dit :
— Voulez-vous un bon conseil, l’ami ?…
— Je ne veux pas de conseil. Je ne veux rien de vous. Que faites-vous ici ? Messieurs de la gentilhommerie n’ont pas le droit d’entrer dans ce cabaret, si ce n’est avec ma permission. Sortez donc à l’instant.
Le calme relatif de Rougeaud fit frissonner l’assemblée, car ce calme dénonçait chez lui la rage portée à son paroxysme.
— Et si je ne sors pas, demanda Pardaillan avec un mince sourire, tandis que son regard commençait à pétiller.
— Alors c’est moi qui vais vous porter dehors ! rugit le truand.
En même temps ses deux poings velus se levèrent. Saïzuma demeura immobile. Loïson poussa un grand cri. Mais à l’instant même, un grondement de stupeur courut parmi les truands qui se levèrent dans un grand tumulte.
Les poings du Rougeaud n’avaient pas eu le temps de s’abattre… Pardaillan s’était vivement levé. Ses deux poings, à lui, se détendant comme deux catapultes, avaient frappé le truand en pleine poitrine… Et ce geste avait été si rapide, si sobre, si foudroyant qu’on put seulement voir le truand chanceler sur sa base en hurlant une imprécation et s’abattre contre une table qui roula avec ses pots de grès et ses gobelets d’étain. Dans le même instant, le Rougeaud se leva d’un bond et vociféra :
— En avant la truanderie ! Mort au gentilhomme !
— A mort ! A mort ! hurlèrent les truands.
Alors les dagues jetèrent des lueurs sinistres dans l’obscurité. Les ribaudes, par une prompte manœuvre qui leur était sans doute familière, se massaient dans un angle, tout en jetant des cris perçants. En un clin d’œil la salle se trouva débarrassée de ses tables poussées contre les murs, et les truands, le poignard à la main, s’avancèrent sur Pardaillan, le Rougeaud en tête.
Brusquement, il y eut dans cette troupe de forcenés un arrêt d’épouvante et d’admiration : dans l’instant même où les malandrins rués allaient atteindre le chevalier, un spectacle inouï vint les glacer de terreur… D’un geste formidable, Pardaillan empoigna le Rougeaud, le souleva dans ses bras puissants, le coucha sur la table, le maintint à la gorge d’une main, et de l’autre, tirant sa dague, en appuya la pointe sur la poitrine du truand…
— Un pas de plus, vous autres, dit-il froidement, et cet homme est mort !…
Sous l’étreinte de cette main de fer, le Rougeaud, d’abord hébété de stupeur et d’épouvante, comprenant à peine ce qui venait de se passer et comment il se trouvait là, le Rougeaud, fou de rage, eut un mouvement de reptile qui se tord.
— En avant ! hurla-t-il.
La dague s’enfonça !… Le sang jaillit !
— J’ai dit ! murmura Saïzuma.
Les truands reculèrent… Le Rougeaud fit un suprême effort, raidit ses muscles, tenta en vain de débarrasser sa gorge, et d’une voix qui cette fois ne fut qu’un râle, répéta :
— En avant !… Enfer !… Je meurs !… Je…
Et cette fois, cinq ou six des plus furieux ou des moins stupéfaits s’avancèrent en vociférant. Le tumulte éclata, plus violent.
— En avant les grands moyens ! tonna Pardaillan.
Et alors, on le vit saisir le Rougeaud presque évanoui et s’acculer au mur… Alors, cet être pantelant qui râlait et grouillait encore de ses jambes et de ses bras, le chevalier le souleva d’un effort furieux au-dessus de sa tête, le balança un inappréciable temps, et à l’instant où les truands allaient l’atteindre, à toute volée, le jeta, le lança, vivant projectile !… Quatre des truands roulèrent. Le Rougeaud demeura sur le carreau, étendu sans vie.
— Vive le gentilhomme ! crièrent les ribaudes enthousiasmées.
Il y eut parmi les truands un recul terrifié, une culbute désordonnée parmi des jurons furieux et des imprécations. Puis, dans ce court répit qui suivit, ils virent le chevalier debout, les bras croisés, riant silencieusement. Et avec son rire, ses yeux illuminés d’éclairs, son torse souple, dans cette attitude de force suprême et de dédaigneux défi, il leur apparut terrible, il leur sembla que c’était là un être à part contre lequel toute résistance était inutile. Plusieurs jetèrent leurs dagues.
— C’est le diable ! hurla l’un.
— Il a fait un pacte ! vociféra un autre.
— Vive le beau gentilhomme ! glapirent les ribaudes.
C’en était fait !… Pardaillan triomphait… Il s’assit
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