La fée Morgane
point
d’interrogation ? Morgantium était sur le bord oriental de l’île, face au
matin [3] . » Curieux
rapprochement, à fois avec la Grande Grèce, dont faisait partie la Sicile, et
la tradition germanique… Après tout, l’Yseult celte porte un nom dérivé du
germano-scandinave Ischild . Pourquoi Morgane
ne serait-elle pas la « Fée du Matin », celle qui, dans la légende
ultérieure, est chargée par le Destin de redonner une nouvelle aurore au roi Arthur dans cette mystérieuse île d’Avallon,
située symboliquement dans un occident qui peut être un nouvel orient ? Il
semble que Morgane contienne en elle-même bien des interrogations.
Il est certain que le terme morganatique n’a aucun rapport sémantique avec notre Morgane. Mais la tradition se moque des
règles de la linguistique, et la valeur symbolique d’un nom résulte bien
souvent d’une analogie ou d’une simple homophonie. Si l’on s’en tient à l’étymologie
pure, le terme morganatique provient du
bas-latin morganaticus , attesté chez Grégoire
de Tours, mot issu du francique morgangeba qui
signifie littéralement « don du matin », mais qui désigne le douaire
donné par le nouveau marié à sa femme. Pourtant, dans les sociétés celtique et
germanique, ce douaire, à l’origine, n’était donné qu’après la nuit de noces, c’est-à-dire
après que le marié se fut assuré de la virginité de son épouse. Il s’agit donc
bel et bien du « prix du sang virginal ». Or, si, à propos de Morgane,
« la plus chaude et la plus luxurieuse femme de toute la Bretagne », selon
le texte de la version cistercienne, il est difficile de parler de sang
virginal, on peut cependant penser qu’elle incarne l’image parfaite de la
Vierge éternelle, c’est-à-dire celle qui se régénère sans cesse, et qui, chaque
matin, est de nouveau libre et disponible, et également puissante , ce qui est finalement le sens étymologique
du mot « vierge », d’un latin virgo où l’on retrouve vis (génitif viris , « force »), ou d’un ancien celtique wraka qui est à l’origine du breton groac’h , « sorcière », ainsi que du français
« virago ». Tout se tient. Morgane est bel et bien une des images
fortes de la Vierge universelle, maîtresse de la vie et de la mort, de l’amour
et de la haine, l’ambiguïté faite femme.
On aura confirmation de cette hypothèse en se tournant vers
l’Irlande. C’est là en effet qu’ont été conservés, dans les manuscrits laissés
par les moines chrétiens, les thèmes et les figurations les plus archaïques de
la mythologie celtique. Et l’on ne peut que s’arrêter sur le fantastique
personnage de Morrigane (ou Morrigu , au cas
sujet), l’une des plus intéressantes représentations de la déesse universelle. Appartenant
à la lignée des Tuatha Dé Danann, c’est-à-dire au clan des divinités issues de
la déesse primordiale Dana (la Dôn de la tradition galloise), elle est l’être
ambigu par excellence, régissant l’amour, la guerre, la prophétie et la magie. Elle
provoque lascivement les guerriers (comme Morgane le fait avec Lancelot), les
excite furieusement les uns contre les autres, hurle d’étranges prophéties et
se livre à des rituels magiques le plus souvent incompréhensibles. Et comme, dans
la tradition celtique, les divinités ont au moins trois visages ou trois noms, elle
est la « triple Brigit », celle que Jules César, dans ses Commentaires , appelle la Minerve gauloise, déesse de
la poésie, des arts, des techniques et de la Connaissance en général. Mais elle
apparaît souvent, dans le cycle épique et mythologique irlandais, comme une
sorte de divinité féminine trinitaire sous les noms de Morrigane-Bodbh-Macha. Il
est alors très important d’examiner ces noms pour mieux comprendre ce que
recouvre la Morgane du cycle du Graal.
Macha est quelque peu occultée dans la mesure où elle est
présentée comme une fée « mélusinienne » proposant à un paysan de l’épouser,
de lui procurer richesse et bonheur, à la condition de ne jamais parler d’elle.
Bien entendu, le paysan, comme le Raymondin de la légende poitevine, transgresse
l’interdit, et, après avoir dû, bien qu’enceinte, engager une course folle
contre les chevaux du roi d’Ulster, Macha, victorieuse, dorme naissance à des
jumeaux, maudit tous les habitants d’Ulster et disparaît. On retrouvera cette
Macha irlandaise dans la tradition galloise sous le
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