La fée Morgane
de tels oiseaux dans le pays. Et l’un d’eux se posa même sur le rebord
de la fenêtre, à l’extérieur, et lança un cri rauque qui semblait un appel. La
dame essaya de tendre la main vers lui, mais il s’envola et rejoignit les
autres. Enfin, le tourbillon cessa et les oiseaux disparurent en direction de
la mer. La dame se demandait ce que tout cela signifiait, et comme elle passait
près de la porte, elle fut bien étonnée en constatant que celle-ci était
ouverte. Sans chercher à comprendre, elle la franchit, s’élança dehors sur la
falaise avec la ferme intention de se jeter dans la mer afin de s’y noyer. Mais,
quand elle arriva au rocher d’où elle voulait se précipiter, elle aperçut la
barque qui avait mené le chevalier et qui l’avait ensuite emporté loin de là.
Oubliant son projet de se donner la mort, elle monta dans la
barque en se disant : « C’est donc de cela que l’oiseau voulait m’avertir !
Dieu fasse que cette barque me conduise vers le pays où se trouve mon ami ! »
Mais il lui vint aussi la pensée que le chevalier avait pu périr en mer et que
c’était pour cette raison que le bateau était revenu là. Cependant, elle vit
que la barque était maintenant en haute mer et qu’elle allait à grande allure
au gré du vent qui était fort. Elle se trouva même prise dans un tourbillon. Les
vents tournèrent et elle erra longtemps sur les flots agités. Enfin, tout se
calma et la barque arriva dans un petit port, sous une grande et puissante
forteresse.
Le seigneur de cette forteresse s’appelait Mériaduc. En ce
temps-là, il guerroyait sans cesse avec un de ses voisins. Il s’était levé de
grand matin pour aller, avec ses gens, ravager les terres de son ennemi. Or, du
haut des remparts, il vit arriver la barque et s’étonna de n’y voir qu’une
femme. Il descendit rapidement, appela son sénéchal, et tous deux se hâtèrent
vers le bateau. Ils montèrent à bord et virent la dame, très belle malgré ses
pleurs et sa fatigue. Mériaduc la souleva et l’enroula dans son manteau, puis
il l’emmena dans sa demeure. Il était tout heureux de l’aventure, car il
trouvait la dame parfaite et ne se souciait guère de savoir comment et pourquoi
elle avait été mise dans cette barque. Il devinait qu’elle était de très haut
lignage et se sentait épris d’elle comme il ne l’avait jamais été d’aucune
autre femme.
Il avait une sœur qui n’était pas mariée et qui vivait dans
sa maison. Il conduisit la dame dans la chambre de la jeune fille et la lui
confia. Elle l’entoura de tous ses soins, lui donna de beaux vêtements et la
para avec un grand respect. Mais, tout en remerciant ses hôtes de leurs
attentions, la dame demeurait triste et pensive, sans que personne parvînt à
tirer d’elle autre chose que des politesses d’usage.
Mériaduc venait souvent la visiter. Il lui parlait d’un ton
aimable et la priait d’accepter son amour. Mais elle répondait froidement à ses
avances, en disant que son cœur n’était pas libre. À la fin, elle lui montra sa
ceinture et lui dit : « Seigneur, si tu peux m’ôter cette ceinture
sans employer la force, je t’accorderai ce que tu demandes. Mais sache que je n’aimerai
jamais un homme sans qu’il puisse m’enlever cette ceinture sans la déchirer. »
Mériaduc n’hésita pas et il entreprit d’ouvrir la boucle, ne doutant pas un
seul instant de sa réussite. Mais il n’y parvint pas en dépit des efforts qu’il
fit. Plus il s’acharnait, plus il devenait furieux, et il fut bientôt sur le
point de saisir un couteau et de trancher la ceinture. La dame lui dit :
« Cela ne te servira à rien. Je préférerais mourir plutôt que de me donner
à un traître qui ne respecte pas une convention ! »
Mériaduc n’insista pas, mais sa colère était vive. « Il
y a aussi dans le pays, s’écria-t-il, un chevalier de renommée qui se défend de
prendre femme ! Mais lui, c’est à cause d’une chemise dont un pan est noué !
Et il ne peut être délié si l’on y met la force et le couteau. C’est toi, je le
pense, qui as fait ce nœud ! » Quand elle entendit ces paroles, elle
se mit à soupirer et faillit s’évanouir. Mériaduc la reçut dans ses bras. Il
voulut en profiter pour essayer encore d’ouvrir la boucle de la ceinture, mais
il dut bientôt y renoncer. Alors, sur son ordre, tous ses vassaux vinrent les
uns après les autres pour tenter l’épreuve. Mais aucun ne put y
Weitere Kostenlose Bücher