La fée Morgane
réussir.
Mériaduc voulut en savoir davantage. Il eut l’idée d’un
grand tournoi auquel il convia ses vassaux et tous ceux du roi Uryen. Il avait
appris que le chevalier Guigemer était un des familiers d’Uryen et il ne
manquerait donc pas de venir avec ses compagnons. On verrait bien alors ce qui
arriverait lorsque la dame et Guigemer se rencontreraient. Mais, quand on
annonça la nouvelle à Guigemer et qu’on lui demanda d’aller au tournoi, il répondit
qu’il n’avait aucune envie de jouter et qu’il préférait demeurer seul. Morgane,
qui se trouvait présente au moment de son refus, le prit à part et lui dit :
« Guigemer, je pense que mes conseils ont été profitables pour toi. – Certes,
dame, répondit Guigemer, je n’ai qu’à m’en féliciter. – Alors, reprit Morgane, si
je te demande d’aller à ce tournoi, refuseras-tu encore ? » ; Guigemer
se mit à réfléchir. « Fort bien, dit-il enfin, je suivrai ton conseil. »
Et c’est ainsi que Guigemer accompagna les chevaliers d’Uryen à la cour de Mériaduc.
Celui-ci les hébergea dans la grande tour de sa forteresse
et leur fit très bon accueil. Il se montra particulièrement bienveillant envers
Guigemer qu’il invita, dans son logis pour le souper. Puis, il ordonna à sa
sœur de s’apprêter et de venir les rejoindre avec la dame. Elles obéirent et
vinrent, richement vêtues toutes deux, et la main dans la main. La dame était
toujours pensive et pâle, mais dès qu’elle aperçut Guigemer, elle eut une faiblesse,
et si la jeune fille ne l’avait retenue, elle serait tombée sur le sol.
En les voyant pénétrer dans la salle, Guigemer s’était levé
pour les saluer. Mais dès qu’il vit la dame, il la reconnut immédiatement et
recula de quelques pas. « Comment ? se dit-il. N’est-ce pas là celle
que je ne puis oublier et à qui j’ai donné mon amour sans espoir de le
reprendre un jour ? Comment se fait-il qu’elle soit ici, dans la maison de
Mériaduc ? Qui l’a amenée ? Mais non, ce n’est pas elle, cela ne se
peut pas. Les femmes se ressemblent toutes entre elles, et c’est parce que je
ne cesse de penser à ma douce amie que je crois la reconnaître en celle-ci. Pourtant,
il faut que je lui parle ! »
Il s’approcha donc de la dame, la salua et s’assit auprès d’elle.
Mériaduc les regardait, et ce comportement lui déplaisait fort. Il dit en riant
à Guigemer : « Seigneur, si tu le voulais, cette dame pourrait
essayer de dénouer le pan de ta chemise. Qui sait si elle n’y parviendrait pas ?
– Par Dieu tout-puissant, répondit Guigemer, je le veux bien. » Il appela
un de ses valets qui avait la garde de sa chemise, car il ne s’en séparait
jamais, même lorsqu’il ne se trouvait point en son logis. Le valet revint
bientôt avec la chemise et on la présenta à la dame. Cependant, elle n’y toucha
pas. Son émoi était tel qu’elle n’osait pas accomplir le geste qui la libérerait
de son chagrin et de sa grande tristesse. « Dame, dit Mériaduc, il te faut
essayer de défaire ce nœud ! »
Et elle se décida. Elle prit le pan de la chemise et le
dénoua d’une main légère, sans aucun effort. Tous ceux qui se trouvaient là en
furent émerveillés. Quant à Guigemer, il ne pouvait y croire. « Dame, douce
dame, dit-il, est-ce vraiment toi ? Dis-moi la vérité ! Et laisse-moi
toucher sur ton corps la ceinture dont je t’ai entouré la taille. – Oui, certes »,
répondit-elle. Il glissa ses mains le long de ses flancs et sentit la ceinture.
Alors, il défit la boucle et la ceinture tomba sur le sol, à la grande stupéfaction
de tous.
Guigemer se leva : « Seigneurs, dit-il, écoutez-moi !
J’ai retrouvé ici mon amie, que je croyais perdue à jamais. Je prie donc
Mériaduc de me la rendre, au nom de Dieu. Je deviendrai son homme lige et je le
servirai deux ou trois ans avec cent chevaliers, ou plus ! – Guigemer, dit
Mériaduc, je ne suis pas dans la gêne et je n’ai nul besoin de ton offre. J’ai
trouvé cette femme et je la garderai. Et je défendrai mon droit contre tous
ceux qui contesteront ma décision !
— Mériaduc ! s’écria Guigemer, je prends à témoin
tous les chevaliers qui sont ici de ta forfaiture. Je vais me retirer avec les
miens et j’entreprendrai ce qu’il convient de faire contre toi. Mais j’ai bien
peur que cette guerre ne coûte la vie à des gens qui ne sont pour rien dans
cette affaire. Si le cœur ne te manque
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