La Fille de l’Archer
grandi au milieu des arbres, vaille que vaille, oubliant le langage des hommes, retournant peu à peu à la sauvagerie.
Oui, tout est possible dans la forêt, c’est la raison pour laquelle les paysans ne la fréquentent qu’en lisière, tel un animal féroce qu’on caresse du bout des doigts, avec la peur qu’il ne se réveille soudain et ne vous arrache un bras.
Wallah sent que la nuit sera longue. Elle a déjà prévu de rebrousser chemin au petit jour. Elle ne se rendra pas en ville, ce serait folie. Elle se contentera de répéter à Bézélios ce que lui a révélé La Murée. À savoir que Malvers de Ponsarrat n’a point décoléré et qu’il a juré de les écorcher vifs s’il leur mettait la main au collet.
Wallah passe une mauvaise nuit, la taille sciée par la corde, dans la crainte permanente de perdre l’équilibre. Elle entend les bêtes qui respirent fort au pied de l’arbre, qui grattent l’écorce et s’exaspèrent de la proximité d’une proie hors d’atteinte. Leur odeur fauve lui emplit les narines. Des loups, sans doute. Généralement ils évitent l’homme, mais, quand la faim les tenaille, ils oublient toute prudence et se risquent jusque dans les fermes. Cette fille, perchée dans le grand chêne, les rend fous. L’odeur du sang est sur elle. Elle est blessée, cela ne fait que décupler leur appétit.
Oui, les heures sombres s’écoulent ainsi. Il fait froid et humide. Wallah grelotte. L’aube est une délivrance. Les doigts gourds, elle peine à défaire les nœuds de la corde mouillée de rosée. À bout de nerfs, elle doit se résoudre à la trancher, ce que désapprouverait Gunar. Elle regagne maladroitement le sol. Entre les racines, elle relève des traces de griffes, nombreuses, laissées par la meute qui, plusieurs heures durant, a fait le siège du grand chêne.
Le sac sur l’épaule, la jeune fille reprend le chemin du campement. Elle y parvient aux alentours de midi, après s’être trois fois trompée d’itinéraire. Bézélios l’y attend, de mauvaise humeur. Il est seul auprès des chariots. À certains mots qu’il laisse échapper, Wallah comprend que plusieurs membres de la troupe ont déserté, et que la récolte d’hier a été maigre. Il fallait s’y attendre. L’adolescente lui transmet la mauvaise nouvelle : Ponsarrat est toujours à leurs trousses. Il est possible qu’il organise une battue pour ratisser les bois.
Profitant de ce que le montreur d’animaux digère l’information, Wallah assemble l’arc turquois devant lui. Elle espère que la vue des flèches aura valeur d’avertissement et ôtera à Bézélios l’envie de lui enseigner les plaisirs de la chair.
— Je vais chasser, annonce-t-elle. Il y a du gibier. Avec un peu de chance je tuerai une paire de lièvres.
Elle glisse le coutelas dans sa botte droite et vérifie qu’elle peut facilement l’atteindre.
— On ne sait jamais, ajoute-t-elle. Un sanglier…
Bézélios ne dit mot. Il semble avoir compris le message. Wallah s’enfonce dans les buissons. En dépit de sa fatigue, elle ne veut pas rester en tête à tête avec le chef des saltimbanques.
Elle marche aussi vite qu’elle le peut ; l’arc turquois, sur son épaule, lui donne de l’assurance, ainsi que les flèches qui ballottent dans le carquois de cuir souple, entre ses omoplates. Les paroles de La Murée dansent la sarabande dans sa tête ; elle a beau faire, elle n’arrive pas à les oublier. Elle pense au pacte… ce pacte auquel elle a souscrit contre sa volonté, par lassitude, et surtout pour ne point contrarier la folle dont elle craignait la réaction.
Elle ne peut s’interdire de penser : « Et si c’était vrai ? »
Si… si… si…
Crevant de curiosité, elle décide de procéder à une expérience. Elle s’arrête au milieu des fougères, encoche une flèche, lève l’arc vers le ciel et… ferme les yeux. Elle s’applique à faire éclore sous ses paupières l’image d’une biche. Elle se concentre sur ce fantôme mental, le modelant de la manière la plus précise possible. « Toutes les biches se ressemblent, se dit-elle. Ce n’est pas comme les hommes. Cela ne devrait donc pas aller à l’encontre du précepte énoncé par La Murée. »
Puis, s’adressant au projectile qu’elle ramène en arrière en même temps que la corde suifée, elle lui ordonne : « Frappe au cœur ! »
Elle sait que le coup n’est possible qu’en tir tendu, à condition
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