La Fille de l’Archer
bouleverser ! lance-t-elle à l’adresse de la mystérieuse inconnue.
Cette dernière hausse les épaules.
— Ce sont des gens sans importance, des crapules, lâche-t-elle. Il n’y a que toi qui mérites de survivre. Tu es douée. Je t’ai observée. Il suffirait d’un rien pour que tu deviennes quelqu’un d’exceptionnel.
— Quoi donc ?
— Une chasseresse. Une tueuse implacable comme il en existait aux premiers âges du monde, quand les filles des dieux avaient pour mission de protéger le royaume de leurs parents. Tu viens du Nord, n’est-ce pas ? Tu sais ce que signifie le mot walkyries ?
— Oui. « Celles qui choisissent ceux qui vont mourir ». Elles moissonnent sur les champs de bataille les guerriers qu’elles conduiront sur le chemin du Walhalla.
— C’est cela. Il suffirait de peu de chose pour que tu deviennes l’une d’elles.
Wallah grogne. Elle déteste qu’on se paye sa tête.
— Et ça dépendrait de quoi ? lance-t-elle par curiosité.
— De mon bon vouloir, de ma fantaisie…, soupire La Murée. Faire du mal aux hommes m’amuse. Je pourrais te donner un pouvoir…
Elle s’interrompt, rêveuse. Les yeux levés, elle suit le vol d’un oiseau dans la frondaison. Elle semble avoir oublié la présence de Wallah.
Maintenant qu’elle la voit mieux, Wallah réalise que La Murée est plus âgée qu’elle n’y paraît au premier coup d’œil. Sa peau diaphane laisse transparaître les veines. Des plis d’amertume encadrent sa bouche. Mais peut-être rajeunit-elle ou vieillit-elle selon qu’elle est joyeuse ou amère ?
La folle demeure perdue dans sa rêverie un long moment, au point que Wallah décide d’en profiter pour s’éclipser. Alors qu’elle s’apprête à remiser l’arc dans son sac, La Murée revient brusquement à la vie.
— Je puis t’accorder ce pouvoir, dit-elle.
— Quel pouvoir ? insiste Wallah. De quoi parles-tu ?
La femme descend de son rocher. Son visage a pris une expression menaçante, cruelle. Wallah se demande ce qu’elle cache sous cette cape qui l’enveloppe jusqu’aux pieds. A-t-elle un corps ? Et ce corps est-il autre chose qu’un amas d’ossements tenant les uns aux autres par magie ? Une créature des bois, une sylve… L’une de ces divinités que le christianisme a chassées des plaines et qui ont fini par trouver refuge au cœur des forêts. C’est là que les anciens dieux ont établi leur ultime royaume et qu’ils survivent, dans les miettes d’une gloire enfuie. La Murée appartient probablement à cette tribu pitoyable et magnifique qui, jadis, régna sur l’univers. Des ombres… des titans qui s’effilochent dans la brume des siècles. De temps à autre, l’un d’entre eux éprouve le besoin de jouer avec les humains, de s’amuser à tirer les ficelles de ces marionnettes qu’ils créèrent à l’aube des temps, par désœuvrement.
— Tu es une bonne archère, reprend la femme, mais je puis t’accorder un don. Il te suffit de le souhaiter.
— Quel don ? répète Wallah.
— Celui de toujours toucher ta cible où qu’elle se cache, et cela même si tu ne peux la voir. Il te suffira de fermer les yeux et de penser fortement à elle. Ta flèche fera le reste, elle fendra l’air pour partir à sa recherche. Même si, pour cela, elle doit suivre une trajectoire impossible. Au bout de la course, quel que soit l’obstacle, elle frappera le gibier en plein cœur.
— Cela ne se peut, riposte Wallah.
— Tais-toi, idiote ! hurle la femme. Tu ne sais rien de ces choses. Je te dis, moi, que c’est possible. Que c’est facile. Il te suffit d’accepter cette offre… et d’en payer le prix.
— Quel prix ?
— Chaque fois que tu feras mouche dans les conditions que je viens de décrire, tu abrégeras ta vie d’une année. Aujourd’hui tu es jeune, et cela te semble un prix modique, mais tu changeras d’avis au fil du temps.
Wallah comprend qu’il serait inutile de discuter plus longtemps. La Murée est folle, la contrarier pourrait s’avérer dangereux. Qui sait ce qu’elle cache sous sa cape ? Une faucille ?
— Et en quel honneur m’accorderiez-vous ce pouvoir ? hasarde-t-elle.
— Parce que tu sais te servir d’un arc, d’abord. Ensuite parce que tu appartiens à un peuple qui n’a jamais renié ses anciens dieux. Vous, les Vikings, vous avez fait semblant de devenir chrétiens, par commodité commerciale, mais au fond, vous êtes demeurés intacts.
Weitere Kostenlose Bücher