La Fille de l’Archer
rempart végétal. Ses propriétés magiques sont-elles avérées ? Retient-elle réellement le baron prisonnier ?
Wallah n’a guère le loisir d’y réfléchir car la côte se fait plus raide. Bézélios souffle comme un bœuf et, en dépit de sa maigreur, se noie dans sa transpiration.
— Il y a de quoi casser les pattes à un bouquetin ! grommelle-t-il en s’agrippant à son bâton.
À présent que la forêt ne les protège plus, le vent devient âpre et leur mord le visage. Autour, tout n’est que rocs, cailloux, crevasses. Un univers stérile et inhumain. Des rapaces tournoient dans le ciel, venus en reconnaissance étudier de plus près ces proies potentielles.
Le sentier zigzague. Enfin, à travers la brume qui enveloppe les hauteurs, se dessine la silhouette d’un château. Austère, conçu en observatoire, dépourvu d’embellissements. Une citadelle bâtie au cordeau. Place de guerre plantée là pour surveiller un col, une vallée, un passage. La masse des remparts fait corps avec le rocher, à tel point qu’elle paraît taillée dans l’épaisseur du pic. Wallah se prend à rêver que la montagne est creuse et qu’Ornan de Bregannog vit à l’intérieur de cette cache inexpugnable à la façon d’un ours en sa caverne.
Les muscles de ses cuisses protestent. Pour un peu, Bézélios éveillerait sa pitié. Un petit pont, qui enjambe une crevasse, permet d’accéder au portail du castel. Le vent cisaille les grimpeurs.
— S’il refuse de nous accueillir, halète le forain, nous allons attraper la crève. Je suis trempé. Ma sueur va geler en même temps que mes vêtements.
Wallah claque des dents. On se croirait en plein hiver. Le brouillard humide leur colle à la peau, achevant de les glacer jusqu’aux os.
Ils franchissent le pont qui leur paraît en bien mauvais état. Le portail, lui, est bardé de fer. Fermé. Bézélios ramasse une pierre et s’en sert pour cogner sur les ferrures. Au bout d’une dizaine de coups, il donne de la voix, précisant qu’ils sont envoyés par l’ingénieur Coquenpot. Rien ne bougeant, Wallah s’empare elle aussi d’un caillou et martèle les planches cloutées.
Enfin, l’écho d’un pas traînant se fait entendre. Un judas s’ouvre, dévoilant un visage émacié, peu avenant.
— Qu’est-ce ? grogne une voix rauque. Si vous êtes pèlerins, vous vous êtes trompés de chemin, nous n’offrons pas l’hospitalité aux inconnus. Si vous êtes mendiants, déguerpissez avant que je ne lâche les chiens !
Bézélios proteste et s’empresse de glisser le parchemin à travers le judas.
— Voyez ! bredouille-t-il. Là ! Le sceau du chevalier de Coquenpot. Nous sommes ses émissaires.
— Attendez, je vais voir, fait la voix.
Le volet se rabat avec un claquement.
« Il ne reviendra pas… », songe Wallah en se frictionnant les épaules.
Elle se trompe, un bruit de verrou retentit enfin et le portail s’entrouvre. L’homme se profile dans l’entrebâillement. Sec, la cinquantaine, la calvitie lui dessinant une tonsure monastique. Il est vêtu d’un justaucorps de drap vert de bonne facture, d’une élégance étonnante en ces lieux désolés.
— Je suis Gérault, l’intendant de sa seigneurie le baron de Bregannog, déclare-t-il. Mon maître accepte de vous recevoir. Entrez.
Il s’efface.
Wallah prend conscience que l’homme la fixe avec insistance, sans accorder une parcelle d’intérêt à Bézélios. En fait, depuis qu’il a ouvert le judas, le dénommé Gérault n’a pas cessé de la détailler. De toute évidence, il ne l’a pas prise pour un garçon, lui. Elle en éprouve une certaine gêne.
À peine sont-ils dans la cour que Gérault s’empresse de barricader le portail au moyen d’une barre de sécurité qu’il peine à remettre en place. Essoufflé par l’effort, la poitrine creusée, il leur signifie de le suivre à l’intérieur du bâtiment.
Ils passent devant les écuries qui sont vides, ce qui surprend les saltimbanques. Ne devrait-il pas s’y trouver au moins un mulet ? Le ravitaillement ne se fait tout de même pas à dos d’homme ! Selles, rênes et étriers ne manquent point, Wallah les aperçoit, suspendus à des crochets ; toutefois les destriers font défaut. Une épidémie de morve les aurait-elle occis ? Quant aux chiens, dont on les a menacés un instant plus tôt, elle n’en voit pas trace, et aucun aboiement ne signale leur présence.
— Ne traînons pas ! s’irrite
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