La Fille de l’Archer
Gérault.
Wallah est surprise par le contraste entre l’austérité extérieure du château et la munificence des appartements. Elle se découvre entourée de tentures orientales, de statuettes étranges en or massif, de coffres d’ivoire ciselés d’arabesques. D’immenses tapis recouvrent les dalles, étouffant les pas. Cette accumulation tranche avec la nudité habituelle des manoirs qu’il lui a été donné de visiter lors des « représentations à domicile » auxquelles la troupe se livrait. La profusion d’objets a quelque chose d’oppressant. Çà et là, des brûle-parfum laissent échapper une fumée entêtante. On se croirait loin de France, en un pays de légende. Wallah ignore à quoi peuvent servir les instruments bizarres qui trônent sur les crédences. Elle ne sait qu’une chose : cette vaisselle damasquinée est en or, comme ces sabres d’apparat à la lame recourbée, ces éperons ou ces fauteuils qui ressemblent davantage à des trônes qu’à de simples cathèdres seigneuriales.
« Un butin de pillage… », songe-t-elle, se remémorant les confidences de Coquenpot.
La crypte lui fait l’effet d’une cachette où des brigands entasseraient le produit de leurs rapines. Elle se dit qu’il lui suffirait de soulever le couvercle de ces coffres pour voir luire dans la pénombre des montagnes d’écus.
Bézélios, lui, simule l’indifférence sans parvenir à masquer l’éclat cupide de ses regards.
— Par ici, lance Gérault que leur stupeur amuse.
Les ayant conduits dans une pièce équipée de lits bas, il déclare :
— Vous attendrez ici que mon maître vous fasse mander. Pour l’heure il a d’autres occupations. Une collation vous sera servie dans un moment.
À peine est-il sorti que deux serviteurs se présentent sur le seuil, un homme et une femme, tous deux desséchés par l’âge et bruns de peau. « Des Maures ! » constate Bézélios, décontenancé. Sans prononcer un mot, les esclaves s’agenouillent et entreprennent de déchausser les visiteurs pour leur laver les pieds, selon la tradition de l’hospitalité orientale. Wallah se laisse faire à contrecœur, elle n’a pas l’habitude d’être ainsi entourée d’égards. Les ablutions terminées, les serviteurs disposent des nourritures variées sur une table basse en cuivre martelé : figues, piments, oignons, ainsi que des galettes sèches et des coupelles d’huile d’olive.
Wallah a l’estomac trop noué pour manger, mais Bézélios ne se prive pas. La jeune fille scrute le décor de la pièce. Là aussi, un encensoir répand une odeur insolite. Ce brouillard parfumé qui flotte de salle en salle est-il destiné à masquer le relent de pourriture exhalé par le maître des lieux ?
La fatigue la rattrape, l’engourdissement la gagne ; elle bascule dans le sommeil. C’est la sensation d’être observée qui l’éveille en sursaut. Quand elle ouvre les yeux, un homme se tient sur le seuil, grand, corseté dans un pourpoint de velours noir soutaché d’argent. Entre deux âges, une belle figure ascétique de moine guerrier aux pommettes proéminentes, au nez en bec d’aigle. Une ancienne cicatrice dessine un croissant de lune blême sur son front. Sous les vêtements se devine une musculature nerveuse. Les mains sont puissantes et larges, développées par le maniement constant de l’épée. Wallah se redresse, confuse. Elle sait qu’il s’agit d’Ornan de Bregannog, elle esquisse une révérence pataude et maudit sa maladresse. Quand elle relève la tête, elle remarque le regard narquois du baron et rougit. Sans doute voit-il en elle un petit singe exécutant un tour destiné à amuser les badauds.
Elle s’en veut de s’être laissé surprendre. En guise de réponse il esquisse un léger signe de tête condescendant.
Wallah s’enhardit, le scrute. Il est beau. Solide. Ses mains nues ne présentent aucun signe de maladie. Ni tavelure ni macule. Le visage est intact, lui aussi, mais la nécrose des chairs se développe peut-être à l’abri des étoffes, sur le torse, le ventre… Il est trop parfumé pour un homme, comme s’il s’appliquait à dissimuler son odeur naturelle. C’est suspect. Les chevaliers ne sont jamais aussi soignés de leur personne. Ils sentent plutôt la sueur, le cuir et le foutre séché, comme Malvers de Ponsarrat.
Bézélios émettant un ronflement, Wallah lui expédie un coup de pied dans le mollet. Le forain s’éveille,
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