La Fille de l’Archer
comme une bourrique, a-t-il provoqué l’animal ? Cela n’aurait rien d’impossible.
Arrivée dans la cour, elle fait un détour par le puits pour y remplir un seau. Après avoir abreuvé les prisonniers, elle nettoiera la blessure de celui qui s’est fait cisailler le mollet par le piège à loup.
Alors qu’elle se tourne vers le pilori, elle s’immobilise, réalisant qu’elle patauge dans une mare de sang. Une immense flaque coagulée recouvre le pavé. Quand elle lève les yeux, elle pousse un cri… Les deux captifs ont eu la tête tranchée. Si les corps tiennent encore debout, c’est parce que leurs poignets sont toujours coincés dans les trous de la cangue.
Wallah lâche le seau qui heurte le sol avec fracas. Qui a fait cela ? Gérault ? Ornan ?
Ont-ils profité de la nuit pour procéder en toute liberté à une punition qui leur tenait à cœur ?
Le bruit a attiré du monde. Bézélios, qui était sorti pour pisser, se fige, hagard, et lâche un beuglement d’alarme. Le reste de la troupe risque le nez dehors. Javotte, la face bouffie, se met à hurler. Ses filles la ceinturent et la ramènent à l’intérieur, craignant qu’elle ne soit saisie de convulsions et n’avale sa langue.
L’intendant et le baron se montrent enfin.
— C’est votre travail ? leur lance aussitôt Wallah que l’indignation fait trembler.
Ornan de Bregannog marche vers le pilori, très pâle. Ce n’est pas le spectacle des corps décapités qui l’émeut à ce point, il en a vu d’autres au cours des croisades. Non, c’est plutôt la signification de ce massacre. D’ailleurs le voilà qui murmure à l’intention de Gérault :
— Alors ce n’est pas fini…
— Non, monseigneur, souffle l’intendant. De toute évidence ce n’était pas la bonne « bête »…
Jouent-ils la comédie ? se demande un instant Wallah. Non, elle ne le pense pas. Pourquoi le feraient-ils ? Ils n’ont aucun compte à rendre à une troupe de saltimbanques en guenilles. De toute manière, le baron a droit de haute et basse justice sur ses terres. Il peut pendre ou décapiter qui bon lui semble.
Leur effroi est réel.
— Foutre ! grommelle Bézélios en se grattant férocement l’entrejambe. C’est comme pour Gros-Nez, les têtes ont encore disparu. L’assassin les a emportées.
17
Ce coup du destin a plongé les occupants du château dans l’hébétement. Les soupçons de Bézélios se portent sur l’intendant.
— Tu l’as vu, souffle-t-il à Wallah. Hier soir il était comme fou. Il a la haine des hérétiques chevillée au corps, c’est l’évidence même. Je crois qu’il a profité de ce que nous dormions pour perpétrer son mauvais coup.
— Vous étiez tous ivres morts, souligne la jeune fille, ça expliquerait pourquoi vous n’avez rien entendu.
— Tu ne comprends pas ? proteste le forain. Ce vin offert à profusion faisait partie du piège. Gérault ne voulait pas nous avoir dans les pattes. Il savait que nous ne l’aurions pas laissé faire.
Wallah se garde de mettre en doute la vertueuse indignation de Bézélios mais n’en pense pas moins.
— D’ailleurs, insiste ce dernier, Gérault n’a pu agir qu’avec le consentement de son maître. C’est le baron qui lui a donné l’ordre d’exécuter les patarins. Il a voulu se venger de l’humiliation subie. C’est vrai qu’il a l’air ballot. On attendait un monstre sanguinaire, on se retrouve avec deux gamins affublés d’une défroque de carnaval.
Poursuivant son idée, le forain conclut :
— Quoi qu’il en soit, il va bien falloir qu’il nous verse la récompense promise. Nous avons traqué la bête, posé les pièges. C’est toi qui as donné l’alerte et nous étions les premiers sur les lieux. Bref, nous avons fait tout le travail. Je vais réclamer notre dû à l’intendant puis nous plierons bagage. Avec l’or que nous a rapporté cette affaire, nous achèterons un nouveau singe dans un port du Sud, là où abordent les vaisseaux revenant des contrées africaines.
Il rêve éveillé, imaginant déjà les phases successives d’un dressage compliqué. Cette fois, plus question de prédire l’avenir, il faudra trouver autre chose. Rien qui échauffe les humeurs inquisitoriales des ratichons. Quoi ? Il ne sait pas encore.
Wallah est plus pessimiste. Son instinct lui souffle que Bézélios se trompe, l’affaire est loin d’être résolue. Il reste trop de questions sans réponse.
Elle
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