La Fille de l’Archer
sort.
Elle voit Gérault et Ornan de Bregannog qui se concertent sur le chemin de ronde, hors de portée des oreilles indiscrètes, l’air sombre. À plusieurs reprises le baron ébauche un geste en direction du sommet de la montagne. L’intendant grimace et secoue la tête en signe de dénégation. Le ton monte sans qu’il soit possible de surprendre le sens de leur discussion.
Gérault semble angoissé et lorgne lui aussi vers les neiges éternelles.
Un peu plus tard, il descend dans la cour et ordonne aux saltimbanques d’aller enterrer les corps décapités le plus loin possible de l’enceinte du château. Javotte et ses filles lessiveront le pavé pour faire disparaître la flaque de sang caillé.
Bézélios grogne. Il n’apprécie guère d’être traité en domestique, lui, le chasseur de bêtes sauvages. Comme ils n’ont pas encore été payés, il juge plus sage de ne point provoquer d’esclandre.
Aidé par les frimants, il dégage les dépouilles exsangues du carcan et les enveloppe dans une toile usée que les serviteurs maures lui ont remise.
Pendant le transport, il souffle à ses compagnons :
— On aura intérêt à ne pas s’attarder. Ces deux gamins assassinés, ça pourrait bien provoquer la colère des paysans. Je ne tiens pas à me retrouver au milieu d’une jacquerie.
Tout le monde est d’accord, d’autant plus que leur séjour au château les a probablement rendus suspects aux yeux des gens de la vallée.
Comme ils l’ont déjà fait pour Gros-Nez, les frimants se débarrassent des corps mutilés dans une crevasse qu’ils comblent au moyen de grosses pierres. La faille étant profonde, la besogne les occupe un long moment.
Pendant ce temps, Javotte et ses filles, le jupon relevé à mi-cuisses, lessivent la cour d’honneur en marmonnant des choses indélicates à l’encontre du baron. Elles aussi sont persuadées que l’exécution a été ordonnée, sinon accomplie, par Ornan de Bregannog.
— Certes, philosophe Javotte, c’est son droit seigneurial ; n’empêche, c’est une punition bien lourde pour deux gars si jeunes.
— Et si beaux, commente Mariotte, rêveuse.
Wallah, qui ne croit pas Ornan coupable, s’interroge sur le chemin emprunté par l’assassin. A-t-il escaladé la muraille ou, plus simplement, s’est-il faufilé dans la place par un souterrain connu de lui seul ? Elle pencherait pour cette solution, qui est loin d’être rassurante puisqu’elle implique que le tueur va et vient à sa fantaisie dans l’enceinte du château. Résolue à tirer la chose au clair, elle rejoint le baron sur le chemin de ronde.
— Ah ! grogne-t-il avec exaspération en la voyant surgir. Ne viens pas, toi aussi, me reprocher la mort de ces croquants. Je n’y suis pour rien.
— Je sais, fait la jeune fille. Le meurtrier est quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui est descendu du sommet, n’est-ce pas ?
Ornan pâlit et détourne les yeux. Wallah en profite pour pousser son avantage et évoque l’hypothèse du souterrain.
Le baron hausse les épaules.
— Ce n’est pas à exclure, soupire-t-il. Dans un château il y a toujours plusieurs galeries cachées, ceci pour être en mesure d’adapter sa fuite à la géographie d’une éventuelle attaque. L’ennui, c’est que l’existence de ces passages est jalousement tenue secrète, si jalousement qu’on finit par oublier leur localisation. Parfois, les initiés meurent avant d’avoir pu transmettre leur savoir, et l’information est perdue à jamais. En ce qui me concerne, je ne connais qu’un souterrain, auquel on accède par la cheminée, dans la grande salle, mais un glissement de terrain l’a comblé et il est inutilisable. Viens, je vais te le montrer si cela peut te convaincre…
Wallah lui emboîte le pas tandis qu’ils gagnent le bâtiment principal.
Dans la salle d’honneur, Ornan entre directement dans l’âtre de la haute cheminée au-dessus de laquelle trône le blason familial. Wallah le suit, au milieu des cendres et des bûches à demi consumées. À gauche, une fente plutôt étroite se dessine, invisible de l’extérieur. En rentrant le ventre, on parvient à s’y glisser de biais. Un passage court au cœur de la muraille, menant à un escalier qui plonge dans les entrailles du sol.
— Là, regarde, ordonne le baron. Tu vois, il est bouché.
C’est vrai. Des blocs de pierre détachés de la paroi l’obstruent complètement.
— C’est comme ça sur toute la
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