La Fille de l’Archer
n’arrangent rien.
On finit par apprendre que les deux complices se nomment Robin et Arnolfo ; ils appartiennent effectivement au clan de Manito. Le vieux leur a donné mission de harceler Coquenpot et Ornan de Bregannog pour venger la destruction du hameau de Vergagnac par les jets de mangonneaux. Mais ils jurent s’être seulement promenés sous les murailles en proférant des grognements. Ils n’ont jamais attaqué personne.
— à les écouter, gronde Gérault, ça semblerait aussi innocent qu’un charivari organisé par une bande de galopins.
Et, saisissant un fouet à chiens, il en cingle les prisonniers. Le blessé perd connaissance. Il saigne en abondance. Arnolfo se décide à avouer que Manito veut punir le baron à cause des servantes disparues, et qu’il a probablement assassinées.
— Crapule ! hurle l’intendant, fou de colère. Je devrais t’arracher la langue ! Sa Seigneurie n’a jamais porté la main sur vos catins… C’est plutôt ces filles dévergondées qui le pourchassaient jusque dans son lit ! Des putains, te dis-je ! Au ventre pourri de luxure ! J’ai dû en chasser deux que j’avais surprises en train de se caresser dans les écuries.
Arnolfo s’entête. L’excitation retombe. Les saltimbanques, bien que soulagés, ne peuvent se défendre d’éprouver une certaine déception. Quoi ! Ce n’était donc que ça ? Une mauvaise blague. Envolés la bête fantastique, le défi prodigieux, la chasse au monstre de légende. La quête mythique tourne en eau de boudin. L’adversaire titanesque se réduit à deux voleurs de poules affublés d’une peau d’ours mitée.
— Il suffit, conclut Gérault. Laissons ces canailles réfléchir à leurs méfaits. Demain, mon maître décidera de leur sort.
Alors, enfin, Wallah réalise qu’Ornan de Bregannog n’a pas daigné les honorer de sa présence.
Pourquoi ?
« Oh ! je vois, songe-t-elle, dès qu’il a compris qu’il s’agissait d’une supercherie, il a eu honte de s’être montré timoré. »
Oui, c’est sans doute cela. À l’heure présente, le baron doit se reprocher amèrement d’avoir laissé paraître ses angoisses aux yeux des saltimbanques. Pire : de les avoir suppliés de capturer un monstre de pacotille.
Elle juge cela de mauvais augure. Les grands de ce monde n’aiment guère dévoiler leurs faiblesses, et ils n’ont pas davantage l’habitude de laisser vivre les témoins de leurs égarements.
Les baladins se regroupent dans les cuisines où ils soignent leur malaise à grandes lampées de vin de pays.
Wallah fait bande à part. Elle regagne sa chambre et se couche en pensant aux garçons enchaînés dans la cour. Dans les villes, le pilori n’est pas une punition exempte de danger puisque les condamnés se retrouvent offerts à la malignité des badauds. Ivrognes et escholiers en profitent pour satisfaire leurs mauvais instincts. Rien de plus vicieux que ces bandes de jeunes célibataires en rut qui écument les ruelles après la fermeture des tavernes. Ils sont à l’origine de bien des viols impunis.
Ici, au château, pas d’escholiers en goguette, certes, néanmoins Wallah ne peut se défaire d’une angoisse diffuse.
Elle finit par sombrer dans le sommeil, encore habillée et les bottes aux pieds.
*
Elle se réveille en proie à la migraine. Le château est silencieux. Trop silencieux à son goût. Elle se lève en titubant, assoiffée. La lumière de l’aube filtre dans la découpe des meurtrières. Wallah suppose que les frimants doivent cuver leur vin quelque part au rez-de-chaussée. Ils ont fêté jusqu’à une heure avancée la fin de la traque. Le monstre a été capturé, cela ne fait aucun doute ; dès que le baron aura payé son dû, ils reprendront la route, pas fâchés de quitter ces hauteurs si peu accueillantes.
Wallah descend l’escalier à vis avec l’intention de gagner la cour intérieure. Elle veut voir dans quel état sont les captifs et en profiter pour leur donner à boire. Elle espère de tout cœur qu’Ornan de Bregannog ne choisira pas de les pendre, comme il en a le droit. Elle ne comprend pas grand-chose à ces histoires de patarins et d’hérétiques, mais, à son avis, ce serait cher payer une mauvaise farce.
Quant à la mort de Gros-Nez, elle croit en l’innocence de Robin et d’Arnolfo. Elle les imagine mal assassinant le gros frimant ivre mort. Elle pense que c’est là l’œuvre d’un ours. Peut-être Gros-Nez, saoul
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