La Fille de l’Archer
longueur du tunnel, commente Ornan. Le boyau utilisait une faille naturelle que la montagne a comblée en s’ébrouant. Seule une taupe pourrait s’y glisser.
— En existe-t-il un autre ?
— Je ne sais pas. Si tu y tiens, on peut explorer les caves, mais elles sont vastes et on n’y voit goutte.
Comme la jeune fille insiste, Ornan s’équipe d’un flambeau et descend dans la crypte qui s’ouvre sous le château. Là encore il s’agit d’une caverne naturelle, sillonnée de crevasses et qu’encombre une profusion d’objets pourrissants. Il y règne une odeur désagréable de fosse commune mal recouverte. Le lieu est si vaste qu’on pourrait s’y promener à cheval. Des rongeurs s’enfuient à leur approche. D’emblée, Wallah comprend qu’une exploration minutieuse est impossible. Trop de coffres, de planches, de poutres, de barriques et de roues de charrettes. Cent torches éclaireraient à grand-peine ce capharnaüm enténébré.
— S’il y a un autre souterrain, soupire Ornan, il est ici, dissimulé au cœur de ce chaos. Mais il faudrait des jours pour le localiser. Je suppose que tes amis n’ont nullement envie de se lancer dans une telle entreprise ? Et puis je doute que cela serve à grand-chose. En admettant qu’on localise le boyau et qu’on l’obstrue, l’assassin pourrait encore escalader les remparts. Les pierres disjointes offrent un appui aussi commode que les marches d’un escalier.
Wallah a déjà envisagé les choses sous cet angle. En dépit de l’épaisseur des murailles, le château – comme toutes les anciennes places fortes non entretenues – reste vulnérable. La faute en revient à l’état déplorable de ses remparts et à l’absence de garnison. Difficile, pour deux hommes isolés, d’assurer la défense d’un tel bastion. Cet état de laisser-aller facilite grandement les entreprises d’un assassin habile à s’infiltrer dans le camp de l’adversaire.
Ils remontent à l’air libre et se séparent sans un mot. Ornan affiche un air abattu, résigné. Lui qui, dans un premier temps, niait l’existence du dévoreur, semble aujourd’hui perméable à la superstition. Wallah se fait la remarque qu’elle ne l’a jamais vu risquer un pas hors de l’enceinte du manoir.
« Les premiers jours il fanfaronnait en parlant de complot, songe-t-elle. À présent il tremble à l’idée de découvrir un loup-garou au pied de son lit ! »
L’angoisse a accompli son travail de sape. Elle n’est pas loin, elle-même, de croire à la nature diabolique de l’ombre qui rôde aux alentours.
*
À la mi-journée, alors que Bézélios a déjà ordonné à ses compagnons de faire leurs paquets, un nouveau drame éclate. L’intendant refuse de verser la récompense promise.
— Vous ne nous avez été d’aucune utilité, rétorque-t-il quand le maître forain s’avise de crier à l’escroquerie.
— Nous avons perdu un homme ! s’étouffe Bézélios. Et c’est grâce à nos pièges que les fauteurs de troubles ont été capturés.
— Faux ! Les pièges appartiennent au baron, vous n’avez fait que les disposer dans la nature. Quant à la capture des marauds, j’étais le premier sur les lieux et j’ai procédé seul à leur arrestation. Si je n’avais pas été là pour vous commander, vous n’auriez su que faire car vous étiez ivres morts !
La discussion s’envenime, chacun traitant l’autre de menteur et de vaurien. Bézélios est au comble de la fureur car il sent que l’intendant ne cédera pas. Cela paraît d’autant plus stupide que le baron est riche. Mais Gérault, comme tous ceux de sa profession, déteste régler ses dettes. Par ailleurs, il a sans doute fini par se persuader que les saltimbanques ne sont pour rien dans la capture de Robin et d’Arnolfo.
— Vous vous êtes largement payés en nature ! vocifère-t-il. Depuis votre arrivée, vous nous avez coûté une fortune en vins fins et nourriture de qualité. Vous étiez maigres, vous voilà plus gras que des cochons. Si vous aviez pris pension dans une auberge, un tel régime aurait vidé votre bourse ! Votre gloutonnerie a pratiquement eu raison de nos réserves ! Après votre départ, nous mourrons de faim.
Bézélios a viré au violet. Wallah se demande s’il ne va pas s’abattre sur le pavé, terrassé par un coup de sang.
Ornan de Bregannog, que ces discussions de maquignons indisposent, reste invisible.
— Si vous refusez de nous payer,
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