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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
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sien d’un trait, abandonne l’autre sur le meuble pour ne pas se rabaisser à servir une inférieure.
    — Je te l’ai dit, murmure-t-il. Quand j’étais enfant, il me terrifiait. C’était un homme cruel, un peu fou… Il essayait de parler au vent, de commander aux tempêtes. Il arpentait le chemin de ronde en poussant des hurlements qui faisaient mourir de peur ses serviteurs. Il était revenu de la croisade avec le crâne enfoncé, la cervelle fendue. C’était un miracle qu’il fût encore en vie, mais, certains jours, il battait la campagne, comme notre pauvre roi.
    Ornan se verse un second gobelet. La lumière étrange qui filtre par les meurtrières accuse le relief de son visage, creuse ses orbites, lui modelant un masque qui le fait paraître plus âgé.
    — Il… il y avait une légende, poursuit-il. On racontait qu’un sorcier, jadis, avait écrit une mélodie qui, lorsqu’on la jouait au moyen d’une flûte d’os, avait le pouvoir de provoquer des avalanches. Il suffisait pour cela de s’embusquer à un certain endroit – en l’occurrence le promontoire du col de Mauperthuis – et de porter le fifre à ses lèvres. La sonorité très aiguë de l’instrument provoquait l’effondrement des plaques neigeuses.
    — Une légende, grogne Wallah.
    — N’en sois pas si sûre ! aboie Ornan, irrité. Les gens d’ici savent qu’il est certains cols qu’on doit traverser en évitant de parler, où le moindre mot déclenche un éboulement. Mon oncle ne l’ignorait pas. Cette légende le fascinait. Une nuit, je l’ai surpris occupé à tailler une flûte dans un os humain. Un os de l’avant-bras. Il m’a expliqué qu’il n’avait pas l’intention de l’utiliser. C’était pour lui un simple jeu de l’esprit. L’idée de disposer d’une telle puissance le grisait, mais, affirmait-il, il n’était pas encore assez fou pour y avoir recours.
    « Il m’a également montré un parchemin souillé sur un lutrin. Selon lui, c’était la partition originale écrite par le sorcier. La musique des avalanches. Il se l’était procurée à grands frais, et en torturant beaucoup de gens. Sans doute s’amusait-il à m’effrayer… Il aimait instaurer un climat de peur autour de lui. Mais peut-être disait-il la vérité.
    Wallah se dandine d’une jambe sur l’autre, nerveuse. Cette éventualité ne la séduit guère.
    — Ce serait lui qui jouerait en ce moment sous nos murs ? lâche-t-elle.
    — Pourquoi pas ? soupire le baron. S’il n’a pas été tué dans la catastrophe, il a pu survivre dans les ruines de son château, au milieu des cadavres gelés de ses gens. Dans ces conditions, la folie rampante dont il souffrait déjà a dû le submerger.
    — Mais il doit être très âgé !
    — Pas tellement, non. Une cinquantaine d’années. Il était en excellente forme physique, très résistant, d’une force exceptionnelle. Je l’imagine fort bien chassant pour se nourrir, piégeant le gibier des hauteurs.
    — Et pourquoi serait-il resté là-haut au lieu de chercher refuge ici ? À l’époque, votre père aurait pu le recueillir. C’était son frère, non ?
    — Tu oublies qu’Anne était déjà fou ! Fou et orgueilleux en diable. Je n’ai pas de mal à me représenter dans quel état d’esprit il se trouvait au lendemain du drame. Je suis prêt à parier qu’il se sentait humilié d’avoir été dépossédé de son fief par la catastrophe. Il était trop fier pour demander à mon père de l’héberger. Il ne voulait pas éveiller la pitié, il a préféré laisser croire à sa mort. C’était plus honorable. Pendant toutes ces années, il a vécu en ermite, à l’insu de tous.
    — Admettons, mais pourquoi chercherait-il, au- jourd’hui, à déclencher une autre avalanche ?
    — Pour me punir d’avoir survécu. Je te l’ai déjà dit, j’aurais dû me trouver à ses côtés la nuit où la neige a balayé le château. Mais j’étais ici, au chevet de ma mère mourante… Je pense que mon oncle ne l’a jamais admis. Il a considéré cela comme une sorte de démission, de lâcheté. Ce coup de « chance » dont j’ai bénéficié est à ses yeux intolérable. Les guerriers n’aiment guère les survivants, tu sais… Dans leur esprit, si l’on n’est pas mort avec ses compagnons d’armes, c’est qu’on n’est pas allé jusqu’au bout, qu’on a fait preuve de prudence. Mon oncle avait coutume de professer ce genre d’idée. Il a vu dans

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