La Fille de l’Archer
entrer ou sortir.
— Par saint Denis ! Tu as raison, balbutie le baron. J’aurais dû y penser. Cet endroit me fait perdre la raison.
Ils retournent au chemin de ronde et explorent les alentours. Wallah n’aime guère les points noirs qui viennent d’apparaître à l’horizon. Elle est certaine qu’il s’agit des loups. Ils ont retrouvé leurs traces. Ornan les a vus, lui aussi. Il se contente de lâcher un « Dépêchons ! » laconique.
Ils reprennent leurs recherches en décrivant un large cercle sur le périmètre supposé du château. Wallah finit par découvrir une tranchée entre deux congères, un tunnel excavé dans la neige durcie, et qui s’enfonce dans les profondeurs du cocon blanc enclavant les ruines.
La galerie est en pente vive et, en dépit des graviers recouvrant le sol, il est difficile d’y conserver son équilibre. L’ancienne muraille apparaît bientôt, fendue, ouverte. Une brèche tient lieu de porte. Wallah et Ornan s’y engouffrent pour déboucher dans une caverne obscure où leurs pas éveillent de longs échos.
— Il y a forcément de quoi s’éclairer, grogne la jeune fille en tâtonnant alentour. Votre oncle n’a point des yeux de chat.
Ses doigts localisent une lampe à huile en terre cuite, ainsi qu’une pierre à feu et son stylet de fer. Elle doit s’escrimer un moment avant que la mèche ne daigne s’enflammer. Le photophore jette une lueur tremblotante sur les lieux. L’huile sent mauvais. « De la graisse d’ours… », suppose-t-elle.
D’après ce qu’elle peut en voir, ils se trouvent dans une salle vide. Des traces noires sur le sol indiquent qu’on a jadis allumé des feux à même le dallage. Des ferrures, des charnières émergent des cendres.
— On a brûlé les meubles, constate Ornan. Tout le mobilier du château a dû y passer.
— Cela veut dire qu’il y a eu des survivants, renchérit Wallah. Ils ont essayé de combattre le froid avec les moyens dont ils disposaient.
Un peu plus loin, ils traversent une tannerie rudimentaire où des peaux d’ours et de loups sèchent sur des cadres. Des marmites semblent avoir servi à fondre la graisse des bêtes pour confectionner des chandelles. Ces dernières s’alignent en rangs serrés au bas des murs. Wallah palpe les fourrures.
— Elles ne sont pas là depuis longtemps, diagnostique-t-elle. Les ruines sont donc occupées par quelqu’un qui s’est organisé pour y survivre.
Ornan hoche la tête. Il paraît tout à coup la proie d’anciennes terreurs.
— Profitons de ce qu’Anne est absent pour reconnaître les lieux, souffle-t-il. Séparons-nous. Je prends l’aile nord, toi l’aile sud.
Wallah jette trois grosses bougies dans sa musette ; elle ne veut pas courir le risque de se retrouver perdue dans l’obscurité de ce tombeau. Elle invite Ornan à l’imiter, enflamme la mèche d’un cierge et le lui fourre dans la main.
— Gardons les flambeaux en réserve, fait-elle en désignant les torches résineuses que le baron porte en bandoulière. On ne sait jamais.
Elle estime qu’il n’est guère prudent de se séparer, néanmoins elle ne veut pas faire montre de couardise.
— Selon vous, dit-elle, où se trouve Anne présentement ?
— Chez moi , soupire Ornan, occupé à égorger mes serviteurs et tes amis. Il ne s’imaginait pas que nous aurions le cran de braver la tempête pour venir le dénicher dans son repaire. Il croyait nous surprendre au gîte. C’est ce que j’escomptais. À présent, ne gâchons pas notre avantage en vaines palabres. Il faut trouver la flûte et la détruire, cela nous fera gagner du temps.
— Il ne la conserve donc pas sur lui ?
— Non, pas quand il part en expédition guerrière. Elle est trop fragile, elle pourrait se briser dans l’action, et il lui faudrait une éternité pour en sculpter une réplique. Je pense qu’il la garde ici, quelque part. Pourquoi se méfierait-il ? Il se croit en sécurité au milieu des ruines. Il est convaincu que personne, jamais, n’osera s’aventurer sur son territoire.
Devant eux, le couloir se divise en deux tronçons opposés. Le moment de se séparer est arrivé.
— Le château est grand, rappelle Ornan. Il ne correspond pas au plan classique des architectures de guerre. Anne lui avait fait adjoindre d’autres bâtiments secondaires, avec des chambres particulières. À l’époque, on commençait à exiger davantage de confort, les gens ne voulaient plus dormir
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