La Fille de l’Archer
pour reprendre la chasse. Il faudra se tenir prêt à repousser leurs assauts.
Ornan s’arrête de plus en plus fréquemment pour se repérer. Il cherche à se rappeler la localisation de telle ou telle caverne ; hélas, la neige a rendu le paysage anonyme. Tout est blanc, lisse. Wallah s’impatiente. Les loups hurlent. Leurs éclaireurs ont flairé la piste des humains et guident la meute à coups de glotte.
Une nouvelle heure s’écoule.
À bout de résistance, l’homme et l’adolescente savent qu’ils doivent prendre le temps d’une autre halte sous peine de s’effondrer dans la neige.
— Là ! par là…, halète Ornan. Jadis il y avait une fissure verticale… assez large pour qu’on s’y glisse. Pas une grotte, plutôt une entaille dans le rocher. En s’y tassant…
Du bout de l’épée, il sonde les congères. Wallah scrute le brouillard, s’attendant à voir surgir les museaux noirs des carnassiers en maraude. Elle a les doigts si engourdis qu’elle serait incapable d’encocher une flèche. En vérité, elle ne sent plus ses mains. Elle s’effraye à l’idée qu’elles pourraient être gelées et noircir sous l’effet de la pourriture.
— Là ! Là ! hurle Ornan dans un élan pathétique.
Ils s’engouffrent dans la lézarde ogivale qui leur râpe les épaules. La faille est si étroite qu’ils ont du mal à se retourner. Les voilà acculés au fond du boyau rocheux. Ils n’iront pas plus loin.
— Une chose est sûre, grogne le baron, les loups ne pourront entrer qu’un à un. La meute sera dans l’impossibilité de nous encercler. Je les tuerai au fur et à mesure qu’ils pointeront le museau.
Le plus urgent c’est d’allumer un feu afin de combattre l’engourdissement. Avec des gestes maladroits, ils fouillent dans le paquetage de la luge, y récupèrent les bûchettes de bois sec, la sciure, les copeaux, tout ce qui va permettre de démarrer l’embrasement. Ornan frappe la pierre à feu avec le stylet de fer, faisant naître des gerbes d’étincelles. De petites flammèches crépitent, timides. La fumée, qui peine à s’échapper, les fait tousser. Enfin, la chaleur les enveloppe, bienfaisante. La température grimpe vite au sein de la faille.
— Quand on aura tout brûlé, soliloque Ornan, on n’aura plus le choix, il faudra filer d’une traite jusqu’au château de mon oncle. Une fois là-bas, il sera possible de se chauffer en utilisant les meubles. Il suffira de se retrancher dans une chambre. Toute la bâtisse n’a pas été balayée par l’avalanche ; certains corps de bâtiments sont demeurés intacts.
— Et comment se nourrira-t-on ?
— Le contenu du cellier a gelé, cela signifie qu’il n’a point subi la corruption du temps. Il doit toujours être rempli de jambons, de salaisons… Au pire, on se rabattra sur les chevaux. Le froid les a probablement changés en statues de glace. Il suffira de leur casser une cuisse et de la ramollir sur une flamme.
Wallah se demande s’il raconte cela à seule fin de la rassurer. Si Anne de Bregannog a survécu à la catastrophe, il s’est à coup sûr empressé de puiser dans ces réserves qui, à l’heure actuelle, ne sont plus qu’un souvenir.
— Pourquoi avoir bâti un château dans un couloir d’avalanche ? s’enquiert-elle. Cela semble d’une rare bêtise !
— Je sais, soupire le baron, mais à cette hauteur on jouit d’une vue imprenable sur l’autre côté de la frontière. On apercevait les armées sarrasines de loin. C’était un honneur d’être en charge de cette position stratégique. On l’octroyait aux guerriers couverts de gloire. Ce qui était le cas de mon oncle. Personne n’avait prévu que l’isolement favoriserait l’épanouissement de sa folie. Il a fini par se considérer comme le roi de la montagne, un monarque affranchi des lois communes, ne dépendant plus d’aucun suzerain. C’est un défaut commun à bien des chevaliers ayant guerroyé en Terre Sainte. Là-bas, ils étaient livrés à eux-mêmes, édictant leurs propres règles… La notion de vassalité finissait par s’affaiblir. Tout cela avec la bénédiction des autorités religieuses. J’ai, moi aussi, cédé à ce vertige… J’ai connu la griserie de régner sur un royaume. Les victoires trop faciles entretenaient l’illusion. Nous finissions par nous croire invincibles, brandissant le glaive de la Vraie Foi. Et puis les Maures se sont organisés, nous infligeant de terribles
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